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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

exemple, qu’avec les lins russes, qu’on n’estimait guère propres autrefois qu’à la fabrication des toiles à voiles et des cordages, les Anglais ont d’abord obtenu le no 35, ce qui était déjà fort beau, et qu’aujourd’hui, par un progrès nouveau, ils sont parvenus, dit-on, à en tirer jusqu’au no 50 et au-delà. Ainsi s’expliquent ces paroles de M. Scrive, qui résument assez bien tout ce que nous venons de dire : « Si vous parlez de la filature à la main, il est évident que les machines l’emportent par la vitesse et la régularité du travail, par l’économie du salaire, et par cet autre fait très important, qu’avec du lin d’une qualité donnée, on peut filer beaucoup plus fin, et que d’ailleurs ces machines font avec des étoupes ce que la main n’aurait pas pu faire : c’est ce dernier point qui caractérise le grand avantage du nouveau système, en ce qu’il donne une valeur considérable à ce qui n’était, pour ainsi dire, qu’un rebut ou un déchet[1]. »

À côté de ces avantages, il y a pourtant quelques inconvéniens qu’il ne faut pas oublier de mentionner. Ils sont assez exactement indiqués dans les réflexions qui suivent : « Dans la pratique de ce commerce nous avons eu occasion de remarquer que les fils d’Angleterre, si ronds, si unis, si séduisans pour le coup d’œil, manquent de consistance pour la couture, se rétrécissent à la lessive, en un mot qu’ils sont inférieurs pour l’usage à ceux qui ne sont point filés à la mécanique. Quelles sont les causes de cette apparence de supériorité, qui n’est qu’une infériorité réelle ? Il faudrait connaître les secrets de la fabrication anglaise pour les pénétrer. Nous pensons, nous, sans vouloir donner à notre opinion une importance qu’elle ne mérite point, que ce qui donne la solidité au fil est précisément ce qui empêche qu’il soit parfaitement uni ; nous voulons dire la conservation de la longueur des filamens de la matière manipulée. Or, si l’on en croit des bruits encore vagues, mais pourtant appuyés sur quelque fondement, les Anglais détruisent, pour obtenir les qualités reconnues dans leur marchandise, ce que nous avons cru le principe de la solidité. En comparant des fils de laine avec des fils de chanvre ou de lin, on pourrait facilement se convaincre que notre opinion est beaucoup plus fondée qu’elle ne semble l’être au premier aperçu[2]. » Ces reproches, ainsi que les conjectures qui les suivent, conjectures qui témoignent de la sagacité de leur auteur, sont justes, sauf quelques rectifications.

On a vu en quoi consiste ce brisement du lin que les machines opèrent. Mais ce n’est guère que dans les numéros élevés, pour lesquels on emploie l’eau chaude, qu’il produit des effets sensibles. Ces trois modes, à sec, à l’eau froide et à l’eau chaude, modes auxquels chaque fabricant accorde plus ou moins, selon ses idées propres, sont pourtant assez généralement employés de la manière suivante : pour les gros fils, jusqu’au no 6, on file à sec ; du no 6 au no 35, on emploie l’eau froide ; plus haut, l’eau chaude est nécessaire. C’est dans ce dernier cas seulement qu’on brise les filamens.

  1. Enquête. Séance du 5 juin 1838.
  2. Dictionnaire du Commerce et des Marchandises, article Lin, par M. J. Mignot.