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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

l’Europe[1]. C’est à cette source inespérée, et qui s’élargissait à vue d’œil, que les machines anglaises, devenues européennes, ont puisé, et voilà comment elles ont trouvé sans cesse un aliment à leur activité croissante. Il n’en fallait pas moins ; mais c’était là, il faut en convenir, une de ces rencontres providentielles placées en dehors de toutes les prévisions humaines ; c’était un prodige qui surgissait à point nommé pour en féconder un autre, et l’étonnante fortune de l’industrie cotonnière, est le fruit de leur alliance ou de leur conjonction. Or, une pareille rencontre doit-elle se renouveler pour enfanter, de nos jours, une autre fortune semblable ? Il ne faut pas dire non, car qui sait ce que l’avenir nous réserve ; mais il est permis de douter.

Ce n’est pas qu’on puisse mettre en doute que la production totale des fils et des tissus de lin ne vienne à égaler un jour en Europe la production totale des fils et des tissus de coton. Dès à présent, si l’on pouvait faire le relevé exact de ce qui se récolte en lin et en chanvre dans toute l’étendue de l’Europe, nous croyons que la quantité n’en serait pas fort au-dessous de celle du coton qui se récolte sur la surface du globe. La France seule, qui consacre à la culture de ces deux plantes 180,000 hectares de ses meilleures terres, produit, en prenant la moyenne de 700 kilogrammes par hectare, tant pour le lin que pour le chanvre, une quantité totale de 126,000,000 kilogrammes. Aussi nos doutes ne portent-ils pas sur la somme de la production future, mais sur la continuité de son accroissement.

Le lin n’est pas une plante dont la production puisse s’étendre à volonté, Sans être précisément exclusive, elle affecte pourtant certaines natures de terrain, et ne prospère que là. Une autre circonstance limite encore sa production, c’est qu’elle épuise la terre et ne peut y reparaître qu’à de longs intervalles. En bonne culture, le lin ne se présente que tous les sept ans dans la rotation de l’assolement, d’où il suit qu’il ne peut occuper chaque année que la septième partie des terrains qui lui conviennent. Tout cela s’applique également au chanvre, comme, en général, à toutes les plantes textiles. Il reste cependant encore bien des pays, bien des terres, où la culture du lin pourrait être entreprise avec succès. C’est ainsi que, dans ces dernières années, elle commençait à pénétrer dans quelques-uns de nos départemens, où elle était jusqu’à présent inconnue, lorsque l’invasion des fils anglais, réagissant sur la vente de nos produits agricoles, est venue décourager ces essais. Il faut remarquer, d’ailleurs, qu’en raison de l’imperfection de la culture, les terres cultivées en lin et en chanvre sont, en général, bien loin d’atteindre, quant à la somme de la production, les limites du possible ; or, il est permis d’espérer qu’à mesure que la demande deviendra plus forte, l’agriculture, excitée par la facilité de la vente, perfectionnera ses moyens. Une autre circonstance bien remarquable vient favoriser l’accroissement de la manufacture, c’est que, dès

  1. La France, qui ne recevait encore, en 1812, que 6,343,230 kil. de coton en laine, et en 1815, 16 millions, en reçoit aujourd’hui plus de 50 millions. Les États-Unis en fournissent les 4/5.