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nous ne sommes vraiment. Et puis, un beau matin, dans l’avenir, quelque brouillon sortirait de terre, quelque Linguet, quelque abbé Faydit, qui réhabiliterait le grand homme, le grand historien oublié, qui lui trouverait de l’originalité, des vues, du bon enfin. Il faut faire en sorte que d’avance, et en présence de l’objet, on ait répondu à tout cela.


II. La défense et illustration de la langue française, par Joachim Du Bellay, publiée par M. Paul Ackermann, et précédée d’un Discours sur le bon usage de la langue française[1].

M. Ackermann a eu l’heureuse idée de remettre en circulation le manifeste éloquent de Du Bellay, qui est comme le point de départ de toutes les considérations sur notre langue poétique et oratoire. De plus, il a jugé convenable de mettre en tête un discours dans lequel il expose lui-même les différentes vicissitudes de la langue : il la suit rapidement avant et pendant sa formation classique, et jusque vers la décadence actuelle ; il apprécie les services ou les injures qu’elle a dus aux écrivains le plus en renom. C’est une petite histoire de toute notre littérature, bien moins complète que ce qu’en a écrit M. Nisard dans un fort bon morceau, mais très étudiée aussi et serrée d’assez près au point de vue de la langue. L’auteur passe rapidement sur l’époque qu’il appelle archéologique, et qu’il possède pourtant avec érudition, comme l’attestent les notices qu’il en laisse échapper. C’est à partir du XVe siècle surtout qu’il s’attache à son sujet avec suite et détail. Son point de vue est classique, et il me semble même qu’il le resserre parfois plus qu’il ne serait nécessaire à la vérité de sa théorie. Une grande préoccupation de la diction et du bon usage des termes contribue à cette restriction dans la marche ; mais des connaissances précises, une érudition consciencieuse, des faits assez rares, assemblés dans un style rapide et pur, rendent la lecture agréable, et même quand on le contredit, ce n’est qu’avec une parfaite estime. Une chose m’a frappé ; il n’y a plus de classiques, et ceux même qui le veulent être, tombent à leur insu dans de petits paradoxes que n’aurait tolérés aucun des devanciers, leurs maîtres. M. Ackermann ne garde pas toujours dans ses jugemens la proportion et la gradation auxquelles on est accoutumé en bonne littérature traditionnelle. Il vous mettra au rang des plus grands écrivains du premier âge classique, Voiture entre Descartes et Corneille ; il citera Chassignet côte à côte avec Malherbe ; et plus loin on est tout surpris d’apprendre qu’au temps de Jean-Baptiste Rousseau, l’ode avait perdu la molle aisance et la grace que lui avaient conservées Malherbe et Conrart. De ce que Conrart a retouché pour la langue la traduction des psaumes de Marot, est-on en droit de le ranger parmi les lyriques ? Conrart a toujours passé jusqu’ici pour un écrivain correct, poli, froid et prudent ; les nombreux papiers qu’on a de lui à

  1. Crozet, 15, quai Malaquais.