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REVUE. — CHRONIQUE.

norer ce que la magistrature a flétri, en s’inscrivant en faux contre les décisions de la justice démocratique du jury. L’espèce de marasme politique dans lequel nous sommes plongés, a donc des causes trop profondes pour que sa fin puisse être prochaine. Aussi devrait-on s’estimer heureux si cet affaissement général trouvait une diversion puissante dans une grande activité imprimée à l’industrie, aux travaux publics, aux transactions et aux débouchés du commerce. Puisque dans la sphère politique proprement dite, il y a langueur et impuissance, l’occasion est belle pour un mouvement industriel ; puisque la guerre cesse sur certains points, et n’éclate pas sur d’autres, puisque la paix est partout, c’est au commerce à la suivre, à étendre ses ramifications, à trouver partout des marchés, à établir partout des comptoirs. On a spirituellement remarqué que la guerre et le commerce n’étaient que deux moyens différens d’arriver au même but, celui de posséder ce qu’on désire. Puisque l’un de ces moyens disparaît tous les jours, c’est à l’autre de le supplanter partout et de conquérir pacifiquement le bien-être et la richesse. Mais l’inertie et la défiance que nous avons signalées en politique semblent avoir réagi sur l’industrie et les affaires. On ne voit pas tenter de grandes opérations, se former de vastes entreprises ; les capitaux se resserrent, la confiance ne revient pas. Nous ne rappellerons pas les émeutes dont la circulation des grains a été l’objet en divers lieux, et qui ont été heureusement réprimées ; mais, pour nous borner à un point d’avenir et de prévoyance, la cherté excessive du pain coïncide fâcheusement, dans la capitale, avec des placards nocturnes dont la police débarrasse chaque matin les murailles des faubourgs. L’autorité locale est pleine de vigilance, et nous ne doutons pas de la sollicitude de la haute administration. Malheureusement, et par des causes antérieures, le ministère assiste à l’état général des choses sans peut-être pouvoir l’influencer et le changer. Ni les bonnes intentions, ni les aptitudes distinguées ne lui manquent ; mais il se ressent toujours de la manière dont il a été formé, et ne parvient pas à s’affranchir de cette faiblesse originelle. C’est une administration mi-partie pour laquelle les vues et les mesures d’ensemble sont bien difficiles. Il y a dans le cabinet des hommes qui ont l’expérience du pouvoir, ou qui en ont l’instinct et en sentent tous les devoirs. Il y en a d’autres qui, avant leur entrée aux affaires, n’avaient guère connu d’autre école politique que les vaines et creuses théories d’un libéralisme sans application et sans portée. Comment pourrait-on voir sortir l’unité d’action politique de l’association d’élémens si disparates ? La conséquence de cette sourde et intime anarchie n’est-elle pas l’immobilité ? N’est-on pas contraint de renoncer à des mesures importantes, à des actes vraiment politiques, pour ne pas provoquer un désaccord inévitable ? Quelques ministres ne gémissent-ils pas intérieurement de cette situation ingrate et stérile ? Ne pèse-t-elle pas à M. Duchâtel, qui apporte dans son nouveau département les qualités positives et élevées que personne ne lui contestait dans sa spécialité antérieure ? Nous serions bien étonnés si la sagacité pénétrante de M. Villemain ne lui révélait pas mieux qu’à personne les faiblesses et les inconvéniens de cette situation.