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REVUE. — CHRONIQUE.

du poste de Constantinople ; il n’a même pas craint de s’en vanter à Londres dans les cercles diplomatiques. Voilà pourquoi les feuilles anglaises annonçaient, le 10 septembre, une nomination qui n’avait été signée que le 9. Si M. Sébastiani a nommé M. Pontois au roi, c’est qu’il fallait bien nommer quelqu’un pour donner plus sûrement l’exclusion à M. Bois-Le-Comte. M. Pontois ne songeait nullement à remplacer l’amiral Roussin ; il s’occupait, pendant son congé, à négocier avec l’envoyé du Texas un traité d’alliance et de commerce, aidant ainsi de son expérience M. Cunin-Gridaine. Il va se trouver d’emblée, en Orient, en pays de connaissance, car il a beaucoup vu au Brésil lord Ponsonby.

Le nouvel ambassadeur n’aura pas trop de tous ses avantages pour lutter contre les difficultés qui l’attendent. Il prendra nécessairement une autre attitude que celle de l’amiral Roussin, qui paraît s’être conduit dans ces derniers temps avec une impétuosité peu diplomatique ; les instructions qu’il emporte sont aussi plus détaillées. Combien il est à désirer pour l’honneur de la France qu’elle trouve dans cette grande affaire de l’Orient une politique digne d’elle ! Pourquoi donc n’a-t-elle pas terminé la querelle entre Constantinople et Alexandrie, après l’envoi à Méhémet-Ali du kiaia qui était chargé de lui offrir l’hérédité de l’Égypte comme souveraineté et celle de la Syrie comme pachalic ? Comment le ministère a-t-il pu caresser l’idée d’une conférence à Vienne, et perdre l’avantage d’une action prompte et indépendante ? Cependant l’Angleterre et la Russie semblent se rapprocher. Nous croyons peu, sans doute, à la sincérité de ces démonstrations entre Londres et Saint-Pétersbourg ; il est facile de comprendre le jeu de l’Angleterre, qui veut stimuler la France en l’inquiétant un peu, et le calcul de la Russie, qui désire à la fois provoquer en Orient un mouvement quelconque, auquel elle croit de toute façon gagner quelque chose, et ébranler en Europe le crédit de l’alliance anglo-française. Ces politesses mutuelles des deux diplomaties russe et britannique n’auraient rien de bien dangereux, si l’on pouvait reconnaître dans notre cabinet une politique ferme et résolue, une marche franche vers un but précis. Si la bataille de Nézib eût trouvé aux affaires l’ancien président du 15 avril, il est permis de penser que la solution du problème devant lequel on est en échec serait aujourd’hui, sinon complète, du moins bien avancée. M. Molé n’a jamais caché sa pensée de reconnaître, quand on jugerait le moment venu, l’indépendance entière du pacha, et de s’en faire un allié, tant contre la Russie, qui tôt ou tard dominera tout-à-fait à Constantinople, que contre l’Angleterre, qui peut vouloir nous combattre un jour dans la Méditerranée. Au contraire, la politique du cabinet actuel semble indécise ; elle a perdu du temps, elle est obligée de revenir sur ses pas et de réparer les erreurs dans lesquelles elle est tombée. Ce n’est pas que le chef du ministère, M. le maréchal Soult, ne consacre à son département et aux affaires l’application soutenue d’un esprit peu vulgaire ; il est même remarquable qu’une organisation qu’on aurait pu croire fatiguée par de si longs travaux militaires, se retrouve souple, laborieuse et