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n’aurait peut-être pas voulu profiter du courage et des imprudences de l’autre.

Les plus grands embarras de Luther avaient été à Worms, puis deux ans plus tard, quand il eut à craindre que l’accord de Maximilien et du pape et le refroidissement de l’électeur ne le perdissent. Il y allait de sa vie, son sauf-conduit à Worms pouvant être violé comme celui de Jean Hus à Constance, et l’électeur pouvant se lasser de le défendre. Mais les périls extrêmes exercent les courages qu’abat un danger douteux, et Luther lui-même m’en offre une preuve ; car à Worms, où sa tête était menacée, il se montra plus résolu qu’à Wittemberg devant la crainte de dangers encore éloignés. Je ne veux point diminuer son courage ; mais je crois qu’il était mauvais juge des embarras de Mélancthon, et que, n’ayant jamais eu à craindre que pour sa personne, il apprécia mal les craintes que donnait à son disciple le sort de ces quarante mille ames qu’il ne voulait pas abandonner, selon sa belle parole à Campège, même au péril de mort. Luther fut soutenu dans ses luttes par l’instinct de la défense, outre l’éclat d’un grand rôle, l’ivresse des applaudissemens populaires, les joies secrètes de l’orgueil, ce serpent du nouvel Évangile. Pour Mélancthon, lequel n’avait à défendre ni sa personne, qui n’avait pas encore été menacée, ni des opinions qui ne fussent propres qu’à lui, il n’était soutenu, dans des luttes sans éclat, que par son dévouement à des coreligionnaires qui le suspectaient ou le désavouaient. Jeté au milieu d’un parti qui ne pensait qu’à jouir de sa foi et point au péril, on ne lui savait pas gré de voir ce péril et de se compromettre pour le conjurer. Les masses aiment mieux l’homme qui les mène au combat, sauf à les quitter en présence de l’ennemi, que celui qui, après les avoir suivies malgré lui ; se fait tuer avec elles.

Il aurait fallu qu’il fût dans le plan de Bossuet de peindre en moraliste ces angoisses dont il a triomphé en catholique orthodoxe ; mais ce n’était pas la tâche du défenseur de la tradition et de l’unité catholique de s’attendrir sur les tourmens d’une belle intelligence qui avait quitté la grande voie, et il a laissé ces analyses au scepticisme de notre âge, avec la témérité d’essayer un nouveau portrait de Mélancthon dans la langue où Bossuet a écrit.

Charles-Quint s’était arrêté au parti le plus inefficace, parce qu’il n’était pas en mesure de prendre le seul qui fût décisif. On avait chargé Jean de Eck, Cochléus et Faber de dresser une réfutation de la confession d’Augsbourg. Il en courut toutes sortes de bruits ridi-