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MÉLANCTHON.

Je n’ai ni le talent qu’il faut pour exposer des questions si ardues, ni le goût, presque plus nécessaire que le talent, et qui seul peut ouvrir l’esprit et le soutenir dans l’étude de ces mystères de la théologie chrétienne. Cependant j’ai dû faire des efforts pour comprendre, au moins dans les généralités, un des points de la nouvelle doctrine qui donna le plus de trouble à Mélancthon, et lui attira le plus de tracasseries.

Après la question de l’autorité, que les catholiques plaçaient à la fois dans les livres saints et dans les traditions des conciles et de l’église romaine, et les protestans exclusivement dans les livres, la question de la justification était la plus considérable que la réforme eût soulevée. Être justifié, c’est-à-dire quitter l’état injuste pour l’état juste ; d’impie, de païen, devenir enfant de Dieu ; d’exclus de ses divines promesses, y être à jamais participant ; quel plus grand intérêt, et où était-il de plus grande conséquence d’assurer les esprits, puisqu’il s’agissait pour eux de la vie ou de la mort éternelle ? Or, dans la doctrine catholique, on était justifié principalement par les bonnes œuvres. La part de la foi, car il fallait bien qu’il y en eût une, se réduisait à la connaissance de la loi chrétienne, et en quelque sorte à l’habitude de s’y conformer, sans ardeur particulière comme sans doute. Luther changea tout cela. Saint Paul avait dit : « Nous sommes justifiés par la seule foi. » Luther ajouta : « Par la seule foi, sans les œuvres. » Dans la doctrine catholique, la foi était implicitement dans les œuvres ; dans la doctrine luthérienne, elle en était séparée, elle était tout. Il est vrai qu’à cette foi paisible et de tradition, que demandait la doctrine catholique, la doctrine luthérienne substituait une foi spéciale, absolue, véhémente, marquée du caractère de son auteur, et réclamant de Dieu la justification à titre de promesse. Cela consistait à dire dans la pratique, de toutes les forces de son être : « Je crois que mes péchés me seront remis par les seuls mérites de Jésus-Christ, médiateur et propitiateur. »

C’est ce qu’on appela la justice imputative. Dans le commencement, on fut si épris de cette justice, qu’on ne s’occupa point des œuvres. On les proscrivit dans ce qui n’en avait été que l’abus, à savoir dans les pratiques extérieures et superstitieuses, au moyen desquelles les catholiques croyaient acheter la justification, telles que les jeûnes et les pélerinages, comme aussi dans l’excès des vœux de religion, et dans ces fuites au fond des monastères ou dans les solitudes, pour échapper aux mauvaises œuvres par l’inaction.