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MÉLANCTHON.

vent ôter ? Cette conséquence ramenait à la doctrine catholique, et c’est ce qui faisait horreur aux exagérés, lesquels voulaient que les élus qui pèchent contre la conscience ne cessassent pas d’être justes, et conservassent le saint Esprit. Luther n’allait pas jusque-là, pour ne pas tomber dans les anabaptistes ; mais il s’éloignait de plus en plus des œuvres, à la différence de Mélancthon, qui retranchait chaque jour quelques-unes des subtilités qui l’empêchaient de s’en rapprocher davantage.

Non content d’une contradiction publique, Luther alla trouver Amsdorff pour se concerter sur le plan de campagne. On disait que Mélancthon et Cruciger allaient être soumis à un interrogatoire solennel. On parlait d’un livre qui les forcerait de quitter Wittemberg. Ce fut alors que Mélancthon songea, comme dit Bossuet, à prendre la fuite. « Je suis, écrit-il à Bucer, un oiseau tranquille, et je m’en irai très volontiers de cette prison. » Tout en se tenant prêt à partir, il attendit le livre dont on les avait menacés.

Ce livre parut. Il roulait principalement sur la cène, qui était d’une plus grande importance pour Luther que la justification, parce qu’il en était sorti toute une église, régulièrement constituée, celle de Strasbourg. C’était le plus impétueux qu’on eût fait sur la matière. Il le fit suivre de la menace d’une formule, à laquelle il voulait que tout le monde souscrivît, sous peine de le voir s’exiler lui-même de Wittemberg. Mélancthon lui offrit des explications, avec le ferme dessein, s’il ne s’en contentait pas, de quitter le pays. « Vous apprendrez bientôt, écrivait-il à Medmann, que j’ai été renvoyé d’ici comme Aristide d’Athènes. » Luther tint quelque temps suspendue sa réponse.

Dans l’intervalle, Mélancthon reçut l’ordre de se rendre à la diète de Spire. Une intrigue de cour, ou peut-être un changement dans la politique de l’électeur, qui crut n’avoir plus besoin de sa modération, fit contremander son départ. On le remplaça par un certain Naogeorgius, qui l’avait attaqué sur la justification. Mélancthon n’en ressentit l’injure qu’à cause de la paix, qui pouvait en souffrir. Pour lui, il se montrait peu jaloux de figurer dans ces conférences. Depuis cette ébauche de dispute publique, où il avait échangé quelques discours avec Jean de Eck, il s’était désabusé de sa chimère d’une assemblée de doctes arrangeant à l’amiable les affaires de l’église. « Voici, dit-il à Myconius, la dixième lettre que j’écris aujourd’hui. Jugez par là de quels travaux je suis accablé. Toutefois j’aime mieux avoir à faire toute cette besogne d’école, que d’être spectateur, dans une