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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

répondraient dès à présent sans hésiter à une pareille question me paraîtraient doués d’une singulière outrecuidance. Sur ce point, bien des conjectures sont permises aux meilleurs esprits, et l’on peut, en conservant une foi inaltérable dans l’idée de 89, penser qu’elle n’a pas encore dit son dernier mot. Êtes-vous curieux à cet égard de théories et d’hypothèses ? Je puis vous en fournir de très spécieuses, peut-être même de très profondes, dont le seul tort sera de ressembler aux contes bleus que vous savez.

Vous avez dû rencontrer à Londres le baron de N…, ancien membre du corps diplomatique, aujourd’hui député, comme propriétaire d’une terre seigneuriale, à la première chambre des états de l’un des gouvernemens de l’Allemagne, homme de savoir et même d’esprit à la manière de ses compatriotes, fort hardi dans ses spéculations, et fort peu effrayé d’être tout seul de son avis. Dans cette tribune, d’où l’Europe assiste à nos débats parlementaires, je liai un jour avec lui une conversation qui, par l’originalité de quelques aperçus, me paraît mériter d’être rapportée.

C’était pendant l’une de ces dramatiques séances où le sort du cabinet était en question, où sept portefeuilles rouges, étalés sur la tribune, semblaient produire sur les partis décomposés l’effet d’une pile voltaïque. Tout était confusion, désordre, crainte contenue, espérance palpitante. « Quelle scène ! » me dit M. de N…, qui venait d’accomplir dans sa patrie sa paisible mission législative. « À ces paroles enflammées, à ces visages renversés par la colère, ne dirait-on pas qu’il s’agit en ce moment de savoir si vous nous rendrez l’Alsace, ou si vous nous prendrez la rive gauche du Rhin ? Jusqu’à quel crescendo s’élèverait donc ce tumulte, si la république ou la restauration frappait à la porte, et s’il s’agissait de les repousser ou de les admettre ? De quoi est-il pourtant question ? De savoir si ces messieurs, que j’aperçois là, auront demain cédé leur place à d’autres. J’ai beau m’interroger, je ne sens ici la présence d’aucune idée ; cette brûlante atmosphère n’est imprégnée d’aucune passion politique, et je ne quitterai jamais votre beau pays avec plus de confiance, tant je suis sûr que le lendemain ressemblera trait pour trait à la veille. »

Je ne pouvais trop en cela me montrer d’un autre avis que mon interlocuteur : aussi le laissai-je continuer, heureux de recueillir les impressions d’un étranger dans une telle circonstance. « Cette chambre est pleine de talens ; je suis surtout frappé de sa physionomie de jeunesse. Les hommes de trente ans gagnent chaque jour du terrain, et avant peu vous y compterez, je gage, à peine quel-