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tence. Goethe écrivait alors la Fille naturelle. À peine informé du danger, il s’interrompt au milieu de ses travaux, unit ses efforts à ceux de son vieil ami et collègue le baron de Voigt, ministre comme lui du grand-duc Charles-Auguste, rassemble de près et de loin tous les esprits qui font cause commune, et n’a pas de trêve qu’il n’ait pourvu les chaires de professeurs capables, et relevé la critique. C’est de cette impulsion généreuse et féconde que sortirent, quelque temps après, plusieurs ouvrages importans, entre autres la Caractéristique des poésies de Voss, Hebel et Grübel. Goethe ne s’en tient pas là. Après les hommes viennent les monumens. Sa sollicitude embrasse tout. Il faut encore que l’intelligence et le travail aient un palais commode et salubre. Cette bibliothèque d’Iéna, dispersée en toutes sortes de salles ténébreuses, lui déplaît. Long-temps les circonstances l’ont empêché de réaliser ses projets. Enfin le prince lui remet ses pleins pouvoirs. Il abat les murailles, s’empare des terrains nouveaux ; l’édifice monte à vue d’œil, et bientôt des volumes sans nombre sont classés, ordonnés et rangés dans de vastes salles où l’air circule librement. Ensuite il travaille à embellir les alentours. Il fait enlever l’ancienne porte, comble les fossés, élève un observatoire « pour le plus sociable de tous les solitaires, » fonde une école vétérinaire, et s’efforce d’encourager partout l’esprit d’ordre et d’activité. Son intérêt pour l’architecture et la technique s’accroît encore par la vive part qu’il prend à la construction du palais de Weimar, ainsi qu’aux dispositions intérieures de l’ameublement. Dans le but de répandre chez toutes les classes le goût et le sentiment de la plastique, il crée cette célèbre école de dessin qui servit de modèle à celles d’Iéna et d’Eisenach. Là, rien ne lui échappe ; il découvre les dispositions, surveille les progrès. Partout où le talent se montre, il l’encourage, et le suffrage de Goethe vaut à celui qui en est l’objet la haute protection du grand-duc.

Comme des hommes de cette trempe tout intéresse, le lecteur me demandera compte sans doute de l’absence du détail biographique. À cela je répondrai que, si j’ai omis ce détail, c’est tout simplement parce qu’il n’y en avait pas[1]. Que dire, en effet, de la vie de Goethe,

  1. Goethe n’avait-il pas raison lorsqu’il disait de lui-même, en écrivant à Schiller : « L’imprévu n’est pas dans mon existence ? » Quels incidens, quelles péripéties chercher dans la biographie d’un homme inaccessible aux passions, ces éternels mobiles de la vie, inaccessible à l’amour, du moins tel que l’entendirent Marguerite, Lucinde et Frédérique ? car, pour ce qui était de la galanterie et de l’ardeur des sens, il fallait bien que la nature trouvât son compte. En général, les mœurs