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GOETHE.

tenaient ferme jusqu’à la fin. La sûreté imperturbable du regard de son intelligence passait tout entière dans ses yeux. Il avait la poitrine large, le reste du corps proportionné, le pied petit. Chacun de ses mouvemens se dirigeait du centre à la circonférence ; il parlait lentement, à pleine voix, et même, dans le transport de la colère, avec calme. Seulement, lorsqu’en se promenant il dissertait avec lui-même (ce qui lui arrivait souvent), les paroles sortaient plus rapides de sa bouche, mais toujours nettes, toujours intelligibles. Quelquefois il négligeait d’émettre la fin de sa pensée. Mais un trait caractéristique entre tous, celui qui n’a jamais manqué de se reproduire dans toutes les images qu’on a faites de lui, c’est cet air de sereine grandeur dont j’ai déjà parlé tant de fois, si manifeste et si largement exprimé, qu’il n’échappe à personne, si profond et si vrai, qu’il a pu se survivre à lui-même, et comme chez les dieux, à travers la toile et le marbre, commander l’hommage et la vénération. Goethe vous apparaît comme le descendant d’une race titanique ; partout chez lui éclate au dehors la force intellectuelle dont il est doué ; partout vous la retrouvez, dans son geste, dans sa stature, dans son œil, dans ces larges touffes de cheveux gris, que l’âge a respectées.

On n’ignore pas les rapports d’intimité qui existèrent toujours entre Goethe et le grand-duc de Weimar Charles-Auguste. Cette amitié du prince et du poète, faite pour honorer l’un et l’autre dans la postérité, dura cinquante ans aux yeux de tous sans se démentir. Du jour où ces deux intelligences entrèrent en contact, elles ne se séparèrent plus, et toute différence de rang et de caractère s’effaça dans ce noble commerce. « Si jamais je me lâchais avec Goethe, disait un jour Wieland à Frédéric de Müller, et si dans le moment de mon ressentiment contre lui j’en venais à me représenter, — ce que du reste personne au monde ne sait mieux que moi, — quels incroyables services il a rendus à notre prince pendant les premières années de son règne, avec quelle abnégation et quel zèle il s’est dévoué à sa personne, que de nobles et grandes qualités qui sommeillaient dans le royal jeune homme il a fécondées et produites, je ne pourrais m’empêcher de tomber à genoux et de glorifier Goethe, mon maître, encore plus pour cela que pour ses chefs-d’œuvre. »

Charles-Auguste et Goethe avaient une telle estime l’un pour l’autre, chacun des deux savait si bien apprécier le caractère et ménager la susceptibilité délicate de l’autre, que, même dans la plénitude de leur confiance mutuelle, ils conservaient toujours une certaine circonspection cérémonieuse, et paraissaient traiter de puissance à