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GOETHE.

d’être l’ami d’un souverain, même lorsque ce poète est Goethe et le souverain un petit prince d’Allemagne. Lequel des deux élève l’autre en pareil cas ? Et s’il est question de courtisan, de qui veut-on parler ? du poète dont le royaume est sans bornes, ou du souverain qui règne sur soixante-trois milles carrés ? Nous ne nous arrêterons pas plus qu’il ne convient à ces déplorables querelles, suscitées par le faux esprit d’un libéralisme suranné. Que Goethe ait aimé les cordons et les dignités, qu’il ait affecté plus ou moins de réserve dans ses manières, de cérémonial dans ses correspondances, peu importe. Ce qu’il y a de certain, et ce qui honore bien autrement l’auteur de Faust que tous les rubans dont il a pu se couvrir la poitrine, c’est cette affection sincère dont il fut toujours pénétré pour Charles-Auguste, cet inviolable attachement qui, loin de se démentir, ne fit que s’accroître dans sa mauvaise fortune. Ici je laisse parler Falk. « Après la bataille d’Iéna, l’empereur, sensiblement irrité, permit au grand-duc de retourner dans ses états, mais non sans lui témoigner une vive méfiance. De ce jour, le noble et généreux Allemand fut environné d’espions, qui venaient presque s’asseoir à sa table. En ce temps-là mes affaires m’appelaient souvent à Berlin et à Erfurt ; et comme dans ces deux villes je connaissais plusieurs autorités supérieures, j’eus l’occasion une fois de surprendre certaines remarques trouvées dans les registres de la police secrète, qu’on mettait tous les soirs sous les yeux de l’empereur, et que je m’empressai de jeter sur le papier, dans l’intention d’en faire part à notre souverain. — Goethe, à ce propos, me donna un si chaleureux témoignage de son attachement personnel au grand-duc, que je regarde comme un devoir pour moi de montrer au public allemand cette belle page de l’histoire de la vie de son grand poète. — À mon retour d’Erfurt, je me rendis chez Goethe ; je le trouvai dans son jardin ; nous parlâmes de la domination des Français, et je lui rapportai ponctuellement tout ce que je venais de confier à son altesse.

« Il était dit, dans cet écrit, que le grand-duc de Weimar était convaincu d’avoir avancé 4,000 thalers au général ennemi Blücher, après la déroute de Lübeck ; que chacun savait en outre qu’un officier prussien, le capitaine de Ende, venait d’être placé auprès de son altesse royale la grande-duchesse en qualité de grand-maître de la cour ; qu’on ne pouvait nier que l’installation de tant d’officiers prussiens n’eût en soi quelque chose d’offensant pour la France ; que l’empereur ne laisserait pas une pareille conspiration se tramer contre lui dans l’ombre, au cœur de la confédération germanique ; que le