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maines, modifiées par le morcellement successif des générations et des siècles ; les autres sont venus, aux trouvères, du sein des littératures de l’Orient, par l’intermédiaire des Hébreux et des Arabes. Mais jusqu’ici il n’y a qu’imitation, et le caractère propre, individuel des fabliaux du moyen-âge, ne se révélera que dans les pièces inspirées aux conteurs par la vie pratique et contemporaine, par les évènemens, les mœurs et les vices de leurs temps. Ces trois divisions établies, il faudrait appliquer aux productions légères de la langue d’oil les catégories et les divisions ingénieuses introduites par M. Raynouard dans les poésies subsistantes des troubadours. C’est ce que M. Ampère, dans son excellent cours du collége de France, n’a pas manqué de faire avec cette habile perspicacité et cette sûreté de vues qui distinguent son enseignement. En parlant au long, l’année dernière, des fabliaux, M. Ampère n’a rien laissé à dire sur un sujet que le zèle de quelques jeunes éditeurs vient chaque jour élargir et étendre par la publication de documens nouveaux.

Pour ne parler que des fabliaux, de cette littérature dont la forme est propre au moyen-âge, dont la naïveté de récit devait aboutir à La Fontaine, dont la malignité caustique devait avoir Voltaire pour dernier mot, genre essentiellement français, ou dont l’antériorité française au moins est incontestable, il est inutile de rappeler que plusieurs recueils estimables, donnés tour à tour par Legrand d’Aussy, Barbazan et Méon, avaient déjà initié le public littéraire à ces poésies long-temps négligées, et qui appellent plutôt, il faut le dire, un jugement sévère qu’un engouement peu réfléchi. Le volume donné aujourd’hui par M. Achille Jubinal est destiné à continuer les recueils ; il contient ving-huit pièces nouvelles, dont quelques-unes sont fort curieuses et d’un intérêt véritable pour l’histoire des mœurs et des usages du XIIIe au XVe siècle. Peut-être un choix moins indulgent, une sympathie moins prévenue pour les productions peu classiques du moyen-âge, eussent-ils éliminé bien des strophes insignifiantes et même quelques pièces d’une valeur moindre ; mais, en somme, cette publication mérite tous nos éloges. Le texte est pur en général, et il est évident que M. Jubinal s’est, avant tout, attaché à la correction. C’est là un mérite assez rare, bien qu’on en fasse volontiers parade aujourd’hui, et qu’on cache trop souvent des erreurs inqualifiables sous des notes bien lourdes et bien inutilement scientifiques. J’eusse désiré seulement, en tête de chaque fabliau de M. Jubinal, une analyse brève et succincte, qui, au besoin, pût dispenser de la lecture complète des pièces, lesquelles ne présentent pas à tout le monde le même intérêt. Chacun ainsi y eût trouvé sa part, et l’usage de ce recueil eût été, sans nul doute, plus utile et plus commode.



V. de Mars.