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politesses et de prévenances, et restai jusqu’au dernier moment l’objet des attentions des autorités et de tous les habitans de la colonie.

La factorerie anglaise est le plus remarquable de tous les établissemens européens de Canton ; ce serait, même en Europe, un magnifique hôtel. La salle principale, qu’on nomme british hall ou salon anglais, est vraiment royale ; elle est ornée de glaces d’un très grand prix et d’un magnifique portrait en pied de Guillaume IV, peint, dit-on, par Lawrence. Le british hong est la propriété de la compagnie des Indes.

Le terrain alloué aux factoreries a une profondeur d’environ deux cent cinquante pieds. Au milieu de ces édifices sont percés deux rues ou passages, garnis, de chaque côté, de boutiques et de magasins chinois, où l’on voit amoncelés tous les objets que la curiosité des Européens vient chercher en Chine. Ce fut naturellement vers ces deux rues que se portèrent d’abord mes pas ; j’y passai cinq ou six heures, partageant mon attention entre les marchandises et les marchands, sans que cette vue parvint à lasser ma curiosité. Je ne trouvais point là les Chinois de Manille, rampans et abjects ; les marchands de Canton sentaient bien qu’ils étaient chez eux, et que, s’il était permis à quelqu’un de jouer le rôle d’oppresseurs, ce rôle devait leur appartenir de droit. Néanmoins ils me parurent fort loin de vouloir user d’un tel privilége ; ils se montraient doux, polis, empressés à satisfaire les goûts et même les caprices des acheteurs, car tout Européen qui les visite ne manque guère de leur faire quelque achat. Ils étaient tous bien et chaudement vêtus : une espèce de longue veste de soie sans collet, ouatée et attachée avec des boutons d’or ou de cuivre, se croisait sur leur poitrine ; de larges pantalons et des bas de forte laine recouvraient leurs jambes. Ils avaient pour chaussure des souliers de soie avec des semelles épaisses de deux doigts et faites de feuilles de papier de bambou fortement pressées pour les garantir de l’humidité. Ils portaient sur la tête un bonnet de soie ou de laine ; les formes de ces bonnets sont très variées. Dans les temps froids, ce costume est complété par un large manteau de fourrures qui descend jusqu’à mi-jambe, et dont les Chinois s’enveloppent soigneusement lorsqu’ils sortent. Ces fourrures sont quelquefois très précieuses, et il n’est pas rare qu’un de ces manteaux vaille plus de mille francs.

Il n’y a peut-être pas de plus habiles marchands que les Chinois. Leur patience est admirable ; rien ne les rebute. Des hommes qui font des affaires pour des sommes immenses passeront souvent trois ou quatre heures à débattre une bagatelle, et, si on leur laisse l’objet marchandé, ils prendront la peine de le porter vingt fois chez vous, vous engageant, avec toute l’éloquence que l’appât du gain, même le plus léger, peut leur donner, à en faire l’emplette, et presque toujours ils atteignent leur but. Tous les Chinois qui habitent les rues des factoreries parlent plus ou moins l’anglais, mais un anglais très corrompu. Il y a plusieurs lettres de notre alphabet qu’ils ne peuvent articuler en aucune façon, et aux fautes de langue ils ajoutent une prononciation si étrange, qu’il est très difficile à un Européen qui n’a pas une longue habitude de leur langage de le comprendre. Pendant les premier jours, je croyais qu’ils me