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UN VOYAGE EN CHINE.

est éloignée. Toutes ces boutiques sont remplies de tout ce qui peut flatter l’appétit, et, en se voyant ainsi dans un quartier où se trouvent réunis tous les élémens de la cuisine, on se croirait au milieu d’une ville de gastronomes. Les bouchers de Canton n’ont rien à apprendre des nôtres : on ne trouverait pas à Paris des quartiers de bœuf mieux coupés, des moutons plus blancs, des côtelettes plus appétissantes, sans parler de ces cochons de Chine si gras, qu’on a peine à concevoir qu’ils aient pu vivre. — Connaissez-vous cet animal dont la chair est si belle ? hélas ! c’est le chien, cet ami de l’homme pendant sa vie, et qui, en Chine, le nourrit après sa mort. — N’êtes-vous pas étourdi des cris de ces milliers de canards entassés dans ces cages qui obstruent la rue ? — Voyez l’art avec lequel les Chinois conservent les poissons : d’une large cuve qui sert de réservoir sortent de petits jets d’eau qui tombent dans autant de petits baquets remplis de poissons, et renouvellent à chaque instant l’eau où on les retient captifs. — Je passe rapidement devant ces étalages de nids d’hirondelles, de nageoires de requin, et de mille autres objets de table dont le nom seul vous surprendrait, et sur lesquels je reviendrai d’ailleurs. — Après les magasins de comestibles, voici des magasins d’habits tout faits ; vous pouvez y choisir depuis l’habillement de coton de l’homme du peuple, jusqu’à l’habit de soie du mandarin avec ses bizarres broderies et ses dragons brodés d’or, aux yeux d’azur et à la langue de pourpre. — Plus loin sont les cafés, si on peut donner ce nom à ces boutiques où l’on vend du thé si chaud, qu’une bouche chinoise peut seule ravaler. Ici, c’est la Chine qui le cède à l’Europe sous le rapport du luxe et de l’élégance. On ne voit dans les cafés de Canton ni glaces magnifiques, ni tables de marbre, ni comptoirs richement décorés ; deux bancs, une simple table, voilà pour l’ameublement ; sur la table, de petites tasses contenant à peine une gorgée, mais dans ces tasses du thé comme on le sait faire en Chine, même dans les basses classes. — Près des cafés sont les marchands de tabac, qui font eux-mêmes valoir leur marchandise en fumant d’un air satisfait leurs longues pipes noires emmanchées d’un jonc de deux à trois pieds. — Arrêtons-nous maintenant devant les artificiers. Ne vous étonnez pas si leurs boutiques s’étendent à perte de vue ; la passion des feux d’artifice est un des traits caractéristiques de la nation chinoise. Nous nous vantons en Europe d’avoir inventé la poudre ; mais les Chinois rient de nos prétentions : ils savent qu’il y a plus de deux mille ans, l’usage en était connu chez eux, et qu’on tirait des feux d’artifice dans le céleste empire bien avant la naissance de Jésus-Christ. Quels que soient les progrès que l’art de l’artificier ait faits chez nous depuis cinquante ans, nous sommes encore bien loin de nos maîtres. Il y avait dans ces magasins un mouvement, un bruit d’or et d’argent tout-à-fait nouveaux pour moi. J’examinais une de ces boutiques, et me rappelais le temps où j’aurais été l’enfant le plus heureux du monde, si j’avais eu à ma disposition la moitié des trésors exposés devant mes yeux ; mais nous avions encore du chemin à faire pour arriver à la manufacture de laque, la journée avançait, il fallut m’arracher ma contemplation.