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leurs plus brillans favoris. Marot y reparaissait de temps à autre, dans les rares intervalles que lui laissaient des persécutions trop souvent méritées. Deux jeunes gens de grande espérance, qui terminaient à Paris d’éclatantes études, et qui devaient conserver à Desperiers une amitié bien fidèle, y apportaient en tribut les fruits d’une verve précoce dont toutes les promesses n’ont pas été tenues. C’était Jacques Pelletier du Mans, l’audacieux grammairien ; c’était le précepteur des belles Seymour, Nicolas Denisot, plus connu depuis sous la maussade anagramme du conte d’Alsinois. Nous ne parlons ici que des personnages célèbres de l’époque dont le nom doit nécessairement se retrouver dans la suite de notre notice.

Les soirées de Marguerite ne ressemblaient pas aux soirées vives et turbulentes du XIXe siècle. La danse n’était pas encore en honneur comme elle l’est aujourd’hui. Le jeu n’occupait que les personnes d’un esprit peu élevé. Les belles dames prenaient plaisir à entendre jouer du luth, ou, ainsi qu’on le disait alors, du luc et de la guiterne, par quelque artiste habile, et Desperiers excellait à jouer du luth, en s’accompagnant de sa voix. Il est presque inutile de dire qu’il chantait ses propres vers, et qu’il les improvisait souvent. Ces fêtes rappelaient donc quelque chose du temps des troubadours et des ménestrels dont le souvenir vivait toujours dans la mémoire des vieillards. Un autre genre de divertissement s’était introduit en France dès le règne de Louis XI, et faisait le charme des veillées : c’était la lecture de ces nouvelles, quelquefois intéressantes et tragiques, presque toujours galantes et licencieuses, dont il paraît que Boccace avait puisé le goût à Paris. Marguerite y fournissait quelque chose pour sa part, et sa part est facile à reconnaître, quand on a fait quelque étude de son style. Pelletier, Denisot, Desperiers surtout, concouraient à cet agréable amusement avec toute l’ardeur de leur âge et toute la vivacité de leur esprit. Boaistuau et peut-être Gruget, qui sortaient à peine de l’adolescence, tenaient tour à tour la plume, et nous avons à ces scribes fidèles l’obligation d’un livre charmant, dont je ne tarderai pas à nommer le véritable auteur.

Vers la fin de l’an 1538, ou au commencement de 1539, cette agréable société fut dissoute par un évènement qui n’est pas bien expliqué. Les chants avaient cessé. Desperiers, long-temps errant, se réfugiait à Lyon, écrivait ses derniers vers, et disparaissait tout à coup du monde littéraire, où son nom ne reparaît plus qu’en 1544, avec l’édition posthume de ses ouvrages. Constant dans une noble amitié, il adresse à Marguerite les touchans adieux de sa muse, et il est facile