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étaient morts : il avait vu disparaître successivement Luther, Cruciger, Jonas, Menius, Poméranus, l’électeur Jean-Frédéric, qui ne jouit pas long-temps de la liberté, Bucer, qui était allé finir en Angleterre une vie laborieuse et conduite avec habileté. Ces hommes éminens formaient la première génération de la réforme ; ils en avaient eu toutes les illusions et toute la bonne foi. Ceux qui venaient ensuite y mêlaient beaucoup d’intérêts divers et confus, outre cet orgueil propre aux héritiers immédiats d’une révolution, lesquels se piquent d’interpréter souverainement ce qu’ils n’ont pas fait, et se tournent contre la gloire de leurs pères pour relever la leur.

Les adversaires eux-mêmes étaient changés. Dans ces premières luttes du vieux catholicisme et de la réforme, on avait disputé des deux côtés, sinon avec la même bonne foi, du moins avec plus de bonne foi que de politique. On cherchait à mettre hors du débat quelques vérités évidentes qui saisissent les intelligences les plus simples. Ce fut toujours le but hautement déclaré de Mélancthon, et les scolastiques, quoique dans le commencement moins sincères, parce qu’ils étaient moins savans et moins habiles, n’avaient pas paru s’en proposer un autre. Mais depuis que la guerre, précédée ou suivie des intrigues, avait exalté, comme il arrive, la lâcheté et l’audace, la politique avait chassé la bonne foi. Les catholiques s’étaient habitués à compter sur l’empereur, et se mettaient moins en peine d’éclaircir des difficultés qui devaient être tranchées par son épée. Le rôle de Mélancthon était fini. Il n’y avait presque plus de disciples pour apprécier ce langage honnête, sans équivoque, sincère là même où la pensée était encore incertaine ; il n’y avait plus d’adversaires pour rendre les armes, au moins sur quelques points, à cette polémique si loyale qui arracha aux consciences plus d’une concession que les intérêts retirèrent ensuite.

Les Flacciens lui avaient rendu le séjour de Wittemberg assez difficile pour qu’une fois encore il parlât d’en sortir, et de chercher pour sa mort un exil plus hospitalier. Camérarius parle des désordres des Flacciens avec une tristesse que son obscurité, habituellement impénétrable, n’a pu nous dérober entièrement. La religion n’était guère que le prétexte dont se couvraient les jalousies et les haines privées, et les noms d’adiaphoristes, de majoristes[1], désignaient ceux qu’on n’osait appeler du nom trop éhonté d’ennemis. C’est un trait com-

  1. C’est-à-dire de partisans de la tolérance sur les choses indifférentes, de disciplines de Major, qui était lui-même de l’école de Mélancthon.