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qui était la grande nouveauté des évangéliques, et la morale s’obscurcissait dans ces subtilités si impuissantes contre les passions.

Il n’y avait pas jusqu’aux enfans qui ne voulaient pas réciter de mémoire, bien loin qu’ils le pussent faire de cœur, le symbole des apôtres. Vainement on leur disait que cette récitation équivalait à une absolution. On parvenait à peine, même avec l’appât d’un si grand intérêt, à leur mettre dans la mémoire cette prière, si considérable dans la nouvelle doctrine, puisqu’elle contenait la formule même de la justification.

Au reste, la tiédeur dans les exercices de piété était le moindre de ces relâchemens. On reprochait aux élèves surtout la gloutonnerie, reproche très ancien en Allemagne. Seulement la table était alors plus turbulente qu’aujourd’hui. Les orgies se prolongeaient jusqu’à minuit, énormité pour le temps ; après quoi les jeunes gens se répandaient sur la place et parcouraient les rues de Wittemberg, criant et chantant à tue-tête, éveillant tout le monde, et faisant croire aux magistrats que l’ennemi était dans la ville. Un décret de l’académie leur ordonne d’être rentrés chez eux à huit heures. Si quelqu’un est appelé au-dehors par des affaires, qu’il les fasse en silence, et s’éclaire dans les rues avec une lanterne, pour qu’on le reconnaisse. Quiconque sera surpris armé et sans lanterne sera mis en prison. Un autre décret les menace d’une prison particulière plus dure que la prison scolastique. Le premier décret n’avait pas réussi. On continuait à sortir armé, et on battait le guet.

Plusieurs étudians avaient pour domestiques ces Scapins et ces Mascarilles dont la comédie a fait un type, mais qui ont été d’abord des personnages réels, héritiers des Daves de Rome. Il ne paraît pas d’ailleurs que la comédie les ait calomniés. Ils étaient larrons jusqu’à rompre les coffres et crocheter les portes, de complicité avec leurs maîtres, qui prenaient leur part de ces rapines ; ils soufflaient les discordes, excitaient les rixes, poussaient les moins braves à se battre, et fournissaient les armes ; ils entraînaient dans les orgies les jeunes gens sobres, et troublaient de leurs chants, de leur ivresse, de leurs espiégleries, les noces et toutes les réunions publiques[1].

Dans les faubourgs, des maraudeurs prenaient d’assaut les jardins et les vignes, et ils avaient des chambres où ils se cachaient pour manger leurs vols. Un décret leur défend de coucher hors de la ville. On leur fait un tableau des blessures qui les attendent, de la mort

  1. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. VII.