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MÉLANCTHON.

lût divers passages des livres sacrés qu’il aimait particulièrement. Cette lecture finie, il dit à haute voix « J’ai toujours dans l’esprit et en vue ce mot de Jean sur le fils de Dieu : le monde ne l’a pas reçu ; mais, à ceux qui l’ont reçu, il a donné le privilége de devenir enfans de Dieu. » Après quoi il remua les lèvres environ un quart d’heure, comme s’il eût continué intérieurement ses pieuses réflexions.

L’heure approchait où la plupart des professeurs allaient faire leur cours. Personne ne se sentant le courage de quitter, à ce moment suprême, l’ami qui allait leur échapper, on rédigea à la hâte, au nom de tous, un avis conçu en ces termes : « Très chers auditeurs, vous n’ignorez pas dans quelle sollicitude, quel chagrin et quelle crainte nous jette la maladie de notre vénéré précepteur et père, maître Philippe, et sans doute vous vous en affectez avec nous. Vous souffrirez donc que les leçons de cette après-midi n’aient pas lieu. Nous voulons vous prouver par là que telle est la force du mal que, si Dieu n’aide pas la nature, notre précepteur ne pourra pas résister plus long-temps. Nous vous exhortons à vous unir à nous, pour prier Dieu qu’il jette un regard de pitié sur cette misérable église et sur la jeunesse, et que, pour châtier notre ingratitude, il ne nous enlève pas, dans des temps si difficiles, le fidèle directeur de nos études. Employez à des prières ce temps de loisir, et implorez Dieu pour l’église et pour la santé de notre précepteur. »

Mais déjà Mélancthon luttait avec la mort. Il ne parlait plus que pour répondre, ayant les lèvres toujours en mouvement, comme s’il se fût hâté de recueillir dans sa mémoire toutes les promesses de l’autre vie. Son gendre lui demanda s’il voulait quelque chose « Rien, dit-il, que le ciel. » Et peu d’instans après, s’étant évanoui, comme on eut rappelé ses sens au moyen d’un cordial, il parut se ranimer et dit : « Pourquoi troublez-vous mon repos ? laissez-moi en paix jusqu’à la fin de ma vie, qui n’est pas loin. » Cependant tout le monde s’était agenouillé, et le pasteur lisait, parmi les passages des saintes Écritures, ceux qu’on savait qu’il avait particulièrement médités. Après cette lecture, on recommença les prières ; et Vitus, l’un de ses collègues, docteur en médecine et professeur de langue grecque, lui ayant demandé s’il comprenait tout ce qui venait de lui être lu, il répondit en allemand : Oui. Quelques minutes après, vers six heures du soir, pendant qu’on récitait le symbole des apôtres et l’oraison dominicale, il expira d’une fin si douce que, de tous ces yeux qui étaient attachés sur lui, aucun ne put surprendre l’instant du passage suprême.