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MÉLANCTHON.

il ne pensa jamais à jouir de son esprit, et il ne fut et ne voulut être que pédagogue : assez semblable à Fénelon par ce nouveau trait, qu’il n’eut pas l’orgueil du génie, et qu’il ne trouva rien de plus beau que de faire des livres d’éducation.

On a vu Mélancthon se défendre, non par peur de la responsabilité, mais pour être vrai, d’avoir rien inventé en fait de dogmes. Il y revient souvent dans ses écrits. « Je n’ai bien appliqué, dit-il quelque part, toutes les forces de mon esprit et tous les efforts de ma volonté, qu’à expliquer avec clarté et précision de si grandes matières, et à donner à la jeunesse des opinions droites et modérées. Autant que je me connais, j’affirme avec vérité et en toute conscience que je n’ai jamais eu en vue que de servir le public[1]. » Les seules corrections qu’il fît à ses livres, étaient pour y mettre plus de cette netteté qui découvre les choses aux lecteurs les plus inattentifs, et non pour attirer les yeux sur l’écrivain. Sa conscience délicate et simple l’aidait beaucoup dans ce dessein : car il ne pouvait enseigner que ce qu’il croyait, et il ne pouvait croire que ce qu’il concevait nettement. Bossuet l’a surpris se contredisant, atténuant ou omettant selon le besoin. Le reproche est vrai ; mais c’est à nous de dire que ce ne fut jamais pour se tirer d’un embarras ou d’un danger personnel, ni par cette fragilité de la sagesse humaine qui peut faire que la constance même dans les opinions soit une faute. Mélancthon se dévouait à la concorde, qui fut toujours d’un plus grand prix à ses yeux que certaines conséquences d’un principe absolu. Les contradictions de Luther peuvent choquer, parce que c’est le plus souvent son orgueil qui donne un démenti à sa bonne foi, et qu’on croit voir un législateur qui s’excepte des lois qu’il a faites ; mais comment blâmer Mélancthon, lorsque, dans un intérêt commun et pressant, il ne souffre pas que ce qu’il a pu écrire soit un empêchement pour la paix, et qu’à la différence de Luther, la bonne foi de l’homme pacifique ne craint pas de démentir l’amour propre de l’écrivain ? Comment n’aimer pas cette habitude de ne tenir à ses idées qu’autant qu’elles peuvent servir au bien d’autrui ? et qui n’estimera que celui-là était le vrai disciple du Christ, qui faisait des dons supérieurs de son esprit comme l’appoint de toutes les opinions et de toutes les prétentions qu’il voulait accorder ?

Un esprit si pratique devait emprunter sa méthode aux anciens. Là, en effet, sont les plus beaux modèles de littérature appropriée.

  1. Epist. IX, lib. II.