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de rien déguiser ; il conte pour conter, il écrit pour écrire ; il lui suffit de ne pas ennuyer. Le Capitaine Pamphile est gai autant qu’un déjeuner de garçon ou qu’une charge d’atelier peut l’être en deux volumes. Cela se lit pourtant, et ne laisse pas de courir par cette force de verve native qui, à défaut de tout, se réfugie encore dans les nerfs et dans les esprits animaux, comme dirait Mallebranche. Et quand je dis animaux, ce n’est pas même ici une métaphore : les véritables héros de ces facétieux volumes sont, en effet, un singe, une grenouille, un ours et une tortue. — Qu’on nous pardonne de revenir vite à notre espèce, et de nous acheminer au sérieux, non sans passer pourtant par l’agréable.


Mézélie, par H. Arnaud (Mme Charles Reybaud)[1]. — L’auteur de ce roman s’est fait remarquer depuis quelques années, sous un pseudonyme qui n’a pas tardé à devenir transparent, et qui n’est plus là aujourd’hui que pour constater la continuité, le lien des nouveaux ouvrages avec les premiers. Mme Charles Reybaud a pris, décidément, place parmi les romanciers les plus aimés du public. Bien des qualités naturelles, douces et vives, ont mérité cette faveur à ses productions qui, toutes, se font lire avec intérêt, et dont quelques-unes émeuvent plus profondément. Qui ne se rappelle avoir lu, dans une autre Revue, avec un charme et un entraînement véritable, la nouvelle intitulée les Deux Corbeaux ? Mme Reybaud possède la principale qualité du romancier et du conteur ; elle a le don du récit, la facilité de suivre, d’enchaîner, de démêler les aventures ; quelque chose, enfin, de ce qui se trouve à un si haut degré chez Scott, Prévost, Le Sage. Quand on n’a pas cette faculté courante, eût-on toute l’analyse, toute la méditation, tout l’art d’écrire, on n’est pas romancier ; on peut faire un livre sous ce titre en sa vie ; mais on n’en fera pas à toute heure, comme c’est le propre de ces talens fertiles. Une autre personne de ce temps-ci, qu’il y a justice à nommer comme possédant aussi de nature cette faculté du récit, cette source du roman, et qui sait y combiner des analyses pures et délicates, c’est Mme de Cubières. Mme Reybaud sait d’ordinaire mêler au train des évènemens des caractères vrais, des personnages bien observés ; son imagination méridionale s’accompagne d’une connaissance juste de la vie. Presque toutes ses scènes se passent dans les contrées du soleil, en Provence, en Espagne, dans les Antilles ; on ignorerait à quelle patrie on doit son talent, que cette prédilection dans le lieu de ses sujets suffirait à l’indiquer. Née à Aix, elle porte dans la nouvelle la verve de ces esprits faciles, tempérée par une douceur et finesse de femme. La littérature espagnole l’a dû beaucoup occuper et charmer ; par ce détour, sans y songer, elle se rapproche de plusieurs de nos anciens romanciers du XVIIIe siècle. Mais un droit sens la préserve des exagérations castillanes et des invraisemblances. Son roman de Mézélie est d’une engageante lecture. La combinaison n’en a rien de bien serré ; la composition s’y laisse même voir comme très successive.

  1. Ladvocat, place du Palais-Royal.