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LA COMÉDIE AU DIXIÈME SIÈCLE.

que commença à poindre le génie dramatique moderne ; car ce lieu était alors le seul qui, malgré la division des forces sociales, offrît ce dont le drame a besoin avant tout, un grand auditoire, capable de s’unir dans une pensée sympathique et de recevoir une émotion commune.

Nous ne voulons pas citer aujourd’hui d’exemples des premiers drames liturgiques. Ces œuvres, qui faisaient partie intégrante des offices, étaient nécessairement empreintes de la rigidité et de la sécheresse du dogme. Nous franchirons ce premier degré, et nous allons entrer sans préambule dans les couvens, asiles privilégiés, ouverts cependant à toutes les conditions, et qui, à de certains jours, admettaient des séculiers de toutes les classes à leurs fêtes. Dans ces sanctuaires de la science et de la piété, le drame religieux put se développer plus libre, plus cultivé, plus poétique. C’est là proprement qu’exista le drame au moyen-âge. La comédie que nous allons traduire est un des plus anciens monumens de cette littérature monastique. Elle a été composée vers l’an 970, par Hrosvita, religieuse saxonne, représentée à l’abbaye de Gandersheim, et jouée par de jeunes religieuses de cette maison, devant l’évêque d’Hildesheim et son clergé, probablement en présence de quelques grands officiers de l’empereur, protecteur de ce monastère, peut-être devant quelques vilains, et qui sait même ? devant quelques serfs ou gens main-mortables de l’abbaye[1]. Mais avant d’aller plus loin, je crois nécessaire d’exposer en peu de mots ce que c’était que Hrosvita, et ce que c’était que Gandersheim.

L’abbaye de Gandersheim ou de Gandesheim, de l’ordre de Saint-Benoît, fut fondée en 852, par Ludolfe, arrière-petit-fils du fameux Witikind. Ludolfe, d’abord comte, puis duc de Saxe, entreprit cette fondation à la prière de sa femme Oda, qui, devenue veuve en 859, se retira dans cet asile et y vécut, après la mort de presque tous les siens, jusqu’à l’âge de cent sept ans[2]. Ce monastère avait d’abord été établi à Brunshusen ou Brunshausen[3] ; mais, dès 857,

  1. Pour les serfs qui dépendaient de l’abbaye de Gandersheim, voy. Privilegium Ottonis regis primi Gandeshemensi cœnobio datum. Meibom., Script. rer. Germ., tom. II, pag. 492, seq.
  2. « Cùm decies denos septem quoque vixerat annos. » Hrosvita, Carm. de constr. cœn. Gand. — Elle mourut en 897, ayant survécu six ans à sa dernière fille Christine, décédée l’an 903. Voy. Vit. S. Bernwardi, XIII. Hildesh. eccl. episcopi, cap. XIII, ap. Leibnitz., Script. Brunsv., tom. I, pag. 446.
  3. La forme ancienne est Brunesteshusen. Voy. Vit. S. Bernwardi (sic), loc. laud., et Chronicon episcop. Hildesh., ap. Leibn., ibid., pag. 743.