Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
MÉLANCTHON.

dans le parti que pour engager Luther à désavouer Mélancthon. Outre les motifs sincères de dissentiment dans cette ferveur d’une révolution nouvelle, les ardens étaient jaloux d’un homme qui, tout en paraissant s’abstenir, avait plus d’éclat que les hommes d’action, et qui, déterminé à rester sur le seuil de la nouvelle théologie, lui rendait toutefois plus de services que ceux qui en avaient fait en quelque sorte leur domicile. On voulait l’affaiblir et arrêter des commencemens si beaux, en faisant tomber sur sa tête quelque sévère désaveu du maître. Mais Luther ne s’y laissa pas entraîner. Il se contenta de donner sèchement avis à Mélancthon de ce qu’on écrivait contre lui, sans d’ailleurs entrer dans aucune récrimination, et sans lui demander de s’expliquer. Il ne se sentait pas sérieusement attaqué par Mélancthon, mais il ne se refusait pas le plaisir de se voir défendre comme s’il eût été attaqué.

Cependant Agricola se donnait beaucoup de mouvement pour aggraver les choses ; il y allait de son honneur de n’avoir pas fait une sortie inutile. Ses partisans murmuraient de l’inaction de Luther. Mélancthon s’étant trouvé avec les principaux d’entre eux aux noces d’un ami commun, Ambroise Reutter, ceux-ci avaient affecté de ne pas le connaître ; et l’un d’eux, Loguléius, qui le connaissait particulièrement, avait affecté de le saluer comme un inconnu. Enfin l’électeur s’en mêla ; il manda Luther à Torgaw, ville où il tenait sa cour, et le chargea, ainsi que Poméranus, d’entendre Mélancthon et Agricola, et de prononcer entre eux.

Le débat fut court. Luther, qu’Agricola y avait mis sur le même rang que les saintes Écritures, le trancha par une définition ambiguë, soit qu’il eût voulu ménager à la fois le disciple ardent et l’auxiliaire utile, soit qu’il fût sincère, et qu’il se payât lui-même de ces ambiguïtés. Toutefois dans le dîner qui suivit, il disputa tout bas avec Mélancthon sur d’autres passages du livre incriminé, l’embarrassant d’explications qui font dire à celui-ci, dans une lettre à Justus Jonas « Quel homme subtil ! » Pour Agricola, qui n’était nullement satisfait de la décision, et ne trouvait pas le jugement assez éclatant pour le procès, il refusa de se réconcilier avec Mélancthon. Vainement celui-ci lui rappela une amitié déjà ancienne, et lui promit d’oublier son offense, du reste n’exigeant de lui aucune rétractation ; « il ne répondit, écrit Mélancthon, non plus qu’une statue. » Mais au dehors il continua de triompher de Mélancthon, Luther n’y contredisant pas, et sans doute se réjouissant secrètement d’un débat qui n’avait profité qu’à lui ; car il y avait vu tout à la fois éclater le dévouement de