Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
458
REVUE DES DEUX MONDES.

tables, mais qui, après tout, ne sont peut-être qu’accidentelles et peu profondes. Ce qui mérite d’être vraiment et sérieusement observé, c’est le ton de mysticité sophistique, qui donne aux plaintes amoureuses de Callimaque un air de si proche parenté avec celles de Roméo. Chose étrange ! la langue de l’amour est au Xe siècle aussi raffinée, aussi quintessenciée, aussi précieuse qu’au XVIe et au XVIIe siècle ! Ouvrez les deux pièces : l’une et l’autre commencent par un entretien de l’amant mélancolique avec ses amis. Eh bien ! dans les deux scènes, dont le dessin est presque identique, l’affectation des idées et la recherche des expressions sont égales des deux parts. Seulement, dans le poète de la cour d’Élisabeth, le jeune amoureux se perd en concetti à la manière italienne ; dans Hrosvita, ce sont des arguties scolastiques et des distinctions tirées de la doctrine des universaux d’Aristote[1]. On serait vraiment tenté de conclure de cette ressemblance que la bizarrerie de la pensée, aussi bien que la recherche et le raffinement du langage, sont dans la nature même de ce sentiment si tumultueux, si complexe, si indéfinissable ; de ce sentiment qui ne serait plus l’amour, s’il cessait d’être une énigme de vie ou de mort pour le cœur sanglant et l’imagination bouleversée qui l’éprouvent.

Nous ne pouvons citer qu’une seule pièce de Hrosvita où elle n’ait pas eu pour guide une légende. En effet, dans ses comédies aussi bien que dans ses poèmes, la pieuse nonne s’est bien gardée de rien inventer. Comme plus tard les grands dramatistes du XVIe siècle, elle garde son invention pour les détails. La pièce où Hrosvita s’est élevée, par exception, à une sorte de création fantastique et idéale, est intitulée la Sapience, ou la Foi, l’Espérance et la Charité. Ce drame allégorique est un des premiers et sans contredit un des plus remarquables modèles de ce qu’on a appelé dans la suite moralités. L’action, comme on le pense bien, est fort simple : l’empereur Hadrien apprend qu’une femme étrangère nommée la Sapience, et ses trois filles, la Foi, l’Espérance et la Charité, viennent d’arriver à Rome pour y propager le christianisme. L’empereur résout de ramener ces femmes au culte des idoles, ou de les faire mourir. Après avoir vainement employé les séductions et les tortures, Hadrien fait mettre à mort les trois jeunes filles. La mère rassemble leurs mem-

  1. Bien qu’on n’eût pas alors en Occident les textes d’Aristote, on faisait grand usage de quelques ouvrages de ce philosophe qui avaient été traduits par saint Augustin, Victorinus et Boëce, c’est-à-dire, de la dialectique et de l’ontologie. Voy. Jourdain, Recherches sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote, pag. 158 et suiv. et 251, note.