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REVUE DES DEUX MONDES.


Scène XIV.


PAPHNUCE, THAÏS.

Paphnuce. — Thaïs ! ma fille adoptive ! ouvrez-moi votre fenêtre, que je vous voie.

Thaïs. — Qui me parle ?

Paphnuce. — Paphnuce, votre père.

Thaïs. — D’où me vient ce bonheur que vous daigniez me visiter, moi, pauvre pécheresse ?

Paphnuce. — Quoique depuis trois ans j’aie été absent de corps, je n’ai pas moins éprouvé une constante sollicitude pour votre salut.

Thaïs. — Je n’en doute pas.

Paphnuce. — Exposez-moi la marche de votre conversion et quels ont été les progrès de votre repentir.

Thaïs. — Je ne puis vous dire qu’une chose ; je sais bien n’avoir rien fait qui fût digne du Seigneur.

Paphnuce. — Si Dieu scrutait toutes nos iniquités, aucune conscience ne pourrait soutenir un tel examen.

Thaïs. — Si cependant vous voulez savoir ce que j’ai fait : j’ai rassemblé, comme en un faisceau, dans ma pensée la multitude de mes fautes ; je n’ai pas cessé de les contempler et de les repasser dans mon esprit. Aussi comme l’odeur infecte de ma cellule ne quittait point mes narines, de même la crainte de l’enfer ne s’est pas éloignée un moment des yeux de ma conscience.

Paphnuce. — Parce que vous vous êtes punie vous-même par le repentir, vous avez mérité votre pardon.

Thaïs. — Plût au ciel !

Paphnuce. — Donnez-moi la main, que je vous aide à sortir.

Thaïs. — Ô vénérable père ! ne m’enlevez pas à ce fumier. Souillée comme je le suis, laissez-moi dans ce lieu digne de mes mérites.

Paphnuce. — Le temps est venu de déposer la crainte et de commencer à espérer la vie éternelle, car votre pénitence a été agréable à Dieu.

Thaïs. — Que tous les anges louent sa miséricorde, puisqu’il n’a pas méprisé l’humble repentir d’un cœur contrit !

Paphnuce. — Persistez dans la crainte de Dieu et dans son amour. Lorsque quinze jours se seront écoulés, vous dépouillerez votre enveloppe humaine, et, votre pèlerinage étant heureusement achevé, vous remonterez dans votre patrie céleste avec le secours de la grace divine.

Thaïs. — Oh ! puissé-je échapper aux tourmens de l’enfer, ou du moins être brûlée par des flammes moins ardentes, car ce n’est pas par mes mérites que je puis obtenir la béatitude éternelle.

Paphnuce. — La grace divine ne pèse point le mérite ; car, si ce don gratuit de la divinité n’était accordé qu’aux mérites, on ne l’appellerait pas la grace.