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sculptés des dragons et d’autres figures fantastiques. Puis venait la litière de la mariée, hermétiquement fermée et toute couverte d’or, sculptée et ciselée sur toutes ses faces, vraiment remarquable enfin par l’élégance et le fini de ses ornemens. Cette litière est supposée contenir la mariée, qui toujours est conduite à l’avance au domicile de son mari. Une effroyable musique fermait la marche, chaque musicien jouant selon son caprice, et faisant résonner sans accord ni mesure son tambour, son aigre flageolet, ou son gong étourdissant.

C’est peut-être ici le lieu de dire quelques mots de la musique chinoise, si toutefois on peut appeler musique le désaccord le plus complet des sons les plus étranges. Un orchestre chinois réunit ordinairement un certain nombre de gongs (espèce de grands bassins faits de l’amalgame de divers métaux), de tambours, de cymbales et d’instrumens à vent d’une horrible discordance. Chaque musicien joue de son instrument, comme s’il était seul, de toute la force de ses poumons ou de ses bras, sans s’occuper en aucune façon de ses voisins. Vous dire l’effet que produit ce mélange de sons, serait vraiment impossible ; c’est quelque chose d’infernal. Il faut être Chinois pour entendre la musique chinoise sans avoir une attaque de nerfs. On dit, je ne sais jusqu’à quel point la chose est exacte, que la cause principale de la mort de lord Napier fut l’effrayant charivari que, sous prétexte de lui faire honneur, les Chinois lui donnèrent, charivari qui dura trois jours, pendant lesquels il dut souffrir la plus cruelle des tortures. On prétend que lord Napier sortit du bateau qui le reconduisit de Canton à Macao avec tous les symptômes de la maladie qui l’emporta. Je conçois sans peine, du reste, qu’aucun tympan ne puisse résister à un concert chinois d’aussi longue durée ; il faut que les sujets du céleste empire soient vraiment organisés d’une autre façon que nous, car non-seulement leur musique leur plaît infiniment, mais encore ils trouvent la nôtre détestable et bonne tout au plus pour des barbares.

En continuant notre route, nous eûmes occasion de voir une autre scène de noce. Un homme du peuple, tout récemment marié, s’agitait, rouge de fatigue, à la porte du domicile conjugal. Une grande foule l’entourait et riait des efforts qu’il faisait pour entrer dans sa maison, dont quelques hommes lui défendaient l’entrée. On nous dit que c’était là une des cérémonies du mariage dans la basse classe, que cette lutte était une plaisanterie, et que bientôt on lui ouvrirait l’entrée de sa maison, où l’attendait le repas de noce, auquel prendraient part ces mêmes hommes qui semblaient lui disputer la porte. On fit bien de nous prévenir que la scène que nous avions sous les yeux n’était qu’un jeu, car aux cris que jetaient tous ces hommes, à leurs contorsions, à la violence avec laquelle ils se tiraient par la longue tresse de cheveux que tout Chinois porte derrière la tête, on aurait cru qu’ils se livraient un combat acharné.

Une longue boutique de marchand de bric-à-brac s’offrit bientôt à nous, et nous ne pûmes résister au désir d’y entrer. Elle contenait une grande quantité d’articles de bijouterie, parmi lesquels nous remarquâmes ces pierres vertes si estimées des Chinois, qui en font des bagues qu’ils placent au pouce de chaque main ; on nous demanda deux mille cinq cents francs pour une de ces bagues.