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retrace l’action dont il est accusé. Dans un de ces tableaux, le médaillon représentait un fils qui tue son père à coups de pioche. Le parricide n’a d’autre témoin qu’un buffle, qui semble considérer cette scène avec attention. Le buffle accusateur paraît devant le juge à côté du coupable, et déjà un des suppôts déploie la sentence fatale. Dans un autre tableau, une femme est amenée devant le redoutable tribunal ; ses bonnes et ses mauvaises actions sont pesées dans une balance, et on peut voir, au désespoir qui se peint sur le visage de la pauvre créature, que la balance penche du mauvais côté. La partie inférieure de chacun des dix tableaux est consacrée à la représentation du supplice. On y voit rassemblés les tourmens les plus affreux qu’ait pu créer la fertile imagination des Chinois ; on ne peut se figurer rien de plus horrible et de plus diabolique que la figure de ces bourreaux d’enfer. Tous les coupables sont nus avec leur longue chevelure pendant sur les épaules. Ici, de nombreuses victimes sont précipitées dans la gueule insatiable d’un épouvantable dragon ; là, un homme est scié entre deux planches, et des chiens s’abreuvent de son sang qui jaillit. Plus loin, des femmes sont entraînées sur des rochers aigus par un impétueux torrent ; plus loin encore, des flammes dévorent le pécheur. Ailleurs, un monstre affreux saisit les corps nus des condamnés et les jette avec violence contre une montagne couverte de larges poignards qui les percent de toutes parts ; enfin une immense chaudière contient des centaines de victimes que d’autres monstres y entassent et y pressent au milieu des flammes.

Au-dessous de ces tableaux il y en avait d’autres qui retraçaient des traditions de combats et des monstres fabuleux. L’attitude des personnages était quelquefois étrange et toujours forcée ; mais l’expression des physionomies me sembla parfaite ; et quoique l’artiste, comme dans toutes les peintures chinoises, n’eût pas eu le moindre égard pour les lois de la perspective, les détails de quelques-uns de ces tableaux n’étaient pas sans mérite. Les peintures représentant les enfers chinois sont extrêmement rares à Canton ; j’eus cependant le bonheur d’en trouver une collection ; les missionnaires à qui je la montrai me dirent que c’était la première qu’ils eussent vue.

La statue de la déesse Boudha me parut presque un chef-d’œuvre ; elle est de bois doré, comme celle de tous les autres dieux. La figure est pleine de douceur et de dignité ; la tête, ornée d’une couronne, est admirablement belle. La déesse a les jambes repliées ; ses mains croisées s’appuient sur ses genoux. Quelques plats de fruits et de gâteaux étaient rangés devant elle avec assez de symétrie. J’eus occasion d’acheter, quelques jours après, une petite statue de porcelaine qui était la représentation exacte de celle que je viens de décrire. Je ne pus m’empêcher, en la voyant, de me rappeler la Vierge à la chaise ; la physionomie de la déesse chinoise est tout aussi douce, et peut-être n’est-elle pas moins belle. Deux anges sont agenouillés à ses côtés ; leur tête est inclinée, leurs mains sont jointes, ils semblent prier.

Pendant que nous examinions les merveilles de la chapelle de la déesse Boudha, cinq ou six femmes nous regardaient avec curiosité ; mais quand je voulus m’approcher d’elles, elles s’enfuirent rapidement : c’était la famille d’un