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CHRISTEL.

rêveuse, attentive au rayon de premier printemps qui perçait jusqu’à elle ce jour-là et jouait dans la chambre, rangeait d’une main distraite les lettres reçues, la plupart à distribuer, quelques-unes (pour les châteaux des environs) à garder poste restante. Parmi ces dernières, il lui arriva d’en remarquer jusqu’à trois à la même adresse, à celle du comte Hervé de T…, et toutes les trois de la même main, d’une main qui semblait élégante, et de femme, et comme mystérieuse. Parmi ces autres papiers grossiers, la netteté du pli les séparait et disait qu’un ongle délicat y avait passé. L’odeur fine qui s’en exhalait sentait encore le lieu embaumé d’où le triple billet coup sur coup était sorti. Ces traces légères remirent Christel aux regrets de la vie élevée et choisie pour laquelle elle était née. Fille simple, généreuse, capable de tous les devoirs et de tous les sacrifices, elle avait un fonds de distinction originelle, plus d’une goutte de sang des nobles aïeux de sa mère qui se mêlait, sans s’y perdre, à toutes les franchises d’une nature ingénue et aux justes notions d’une éducation saine. Sa soumission au sort dissimulait seulement l’intime fierté, comme sa simplicité courante permettait toutes les graces, comme sa douceur recélait des flammes. Christel souffrait ; ce jour-là elle souffrait plus. Elle se cachait soigneusement de sa mère, et, de peur de se trahir, elle tâchait de ne se l’avouer à elle-même que durant l’heure de ce sommeil de chaque après-dînée, qui la laissait comme seule à sa tristesse. Christel n’avait aimé encore ni pensé à aimer que sa mère ; elle ne l’avait jamais quittée que pendant une année pour aller à Écouen, et c’avait été la dernière année de cette maison. Les douleurs de sa patrie française tenaient une grande place dans la jeune ame, et couvraient pour elle le vague des autres sentimens. Pourtant les frais souvenirs d’enfance qu’elle évoquait à cette heure, les beaux lieux qu’elle avait traversés et qui s’étaient peints si brillans en elle, tel bosquet d’Alsace, tel balcon de Burgos, les mille échos d’une militaire fanfare dans le labyrinthe gazonné d’un jardin des camps, n’étaient là, sans qu’elle le sût, que comme un prélude sans cesse recommençant, comme un cadre en tous sens remué pour celui qu’elle ignorait et qui ne venait pas. Christel prit les trois petites lettres et les mit à part sur un coin du bureau, comme pour ne pas les mêler aux autres : Quel bonjour empressé, se disait-elle, quel appel impatient et redoublé, quel gracieux chant d’avril devait-il en sortir pour celui qui les lirait ! Elle achevait à peine de les poser qu’un jeune homme entra, et, se découvrant respectueusement derrière la grille, demanda