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celui-ci attaqua, le soir du même jour, le frère de l’agresseur, le blessa au visage et lui abattit la main. Le père du coupable envoya son fils au père du blessé, nommé Galfredo, pour traiter d’une satisfaction ; mais Galfredo blessa le jeune homme au visage, lui coupa la main sur une mangeoire de cheval, et le renvoya ainsi à son père.

Je me rappelais cette horrible représaille, suivie de tant d’autres, en parcourant les rues vastes et solitaires de Pistoia qu’une malédiction semble encore habiter, quand, en entrant dans le palais de la commune, bariolé, suivant l’usage italien, des écussons de tous les chefs du peuple, je rencontrai celui des cancellieri. Ce nom si fatal à Pistoia, et par suite à Florence et à Dante, se présentant là tout à coup à mes yeux, sur cette vieille muraille, parmi d’autres insignes du moyen-âge, produisit sur moi une grande impression ; il évoqua le souvenir de ces terribles haines et des luttes au sein desquelles Dante consuma sa vie.

C’est à Pistoia que Catilina fut battu. Au temps de Dante, les souvenirs romains, altérés par la tradition, étaient populaires en Toscane. On expliquait la férocité native des habitans de Pistoia en les faisant descendre des soldats de Catilina, et Dante fait allusion à cette origine dans une violente imprécation contre leur patrie[1]. Il y a encore dans cette ville la rue Catilina.

Avant d’en finir avec les blancs et les noirs, je relèverai une assertion de Ciampi, qui n’aurait pas besoin de l’être, si elle n’avait été répétée. — Cet auteur, dans une note de la vie de Cino da Pistoia, prétend que l’alternance de marbre blanc et de marbre noir, qui se remarque dans plusieurs monumens de Pistoia, est une allusion aux noms de ces deux partis politiques et à leur réconciliation. Malheureusement une construction tout-à-fait semblable se trouve dans des monumens antérieurs à la dénomination de blancs et de noirs. Pour ne citer qu’un exemple, cette singularité est très remarquable dans la cathédrale de Pise, du XIe siècle : on ne peut se réconcilier deux cents ans avant de s’être brouillé.

Ce Cino da Pistoia est celui qui enseigna le droit à Bartole ; il est cité par Dante, dans le Traité de l’éloquence vulgaire[2], comme un des trois Italiens qui avaient su tirer, en poésie, le plus grand parti de la langue vivante, et parmi lesquels Dante avait l’humilité de se compter. On est étonné qu’il n’ait mentionné Cino nulle part dans sa

  1. Inf., c. XV, 10.
  2. Liv. I, chap. XIII.