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toits de gazon et de lambris, ces cabanes pareilles à des bateaux qu’un coup de vent aurait poussés sur la côte, et cette mer sillonnée de distance en distance par une grande roche noire ou une montagne. Déjà nous commencions à retrouver ces belles nuits crépusculaires des régions septentrionales. Le soleil ne disparaissait que très tard à l’horizon, et quand on cessait de le voir, toute la surface du ciel restait imprégnée d’une douce lumière. Seulement il y avait plus de silence que dans le jour, et on n’entendait que le bruit mélancolique de la vague qui roulait sur le sable du rivage, puis se retirait en lui laissant comme trophée une frange d’écume, une guirlande d’algue. Il y a dans ces heures de solitude passées au bord de la mer, dans ce murmure uniforme et plaintif des flots, dans cet espace immense où la pensée s’enfuit de vague en vague avec le regard, un charme que nul idiome ne peut peindre, que nul chant ne peut exprimer. En sortant de là, on se sent plus léger et plus fort. Il semble que la brise qui court sur les flots rafraîchit l’ame, et que la vue de l’espace agrandit l’intelligence.

Mais je ne donnerais qu’une idée bien imparfaite des Féroe, si je me bornais à parler de Thorshavn et de ses collines. Tout cet archipel offre aux regards étonnés de l’artiste les situations les plus romantiques, les points de vue les plus pittoresques. Il se compose de vingt-cinq îles, dont dix-sept sont habitées. En allant d’une de ces îles à l’autre, tantôt on passe sous une masse de pierre percée comme un arc de triomphe, tantôt au pied d’un roc imposant comme une pyramide, aiguisé comme une flèche. Ici vous voyez s’ouvrir, à la base d’une montagne, une grande caverne sombre où le pêcheur entre hardiment avec son bateau pour poursuivre les phoques qui vont y chercher un refuge ; là c’est une muraille à pic dont le pied de l’homme n’a jamais touché les parois glissantes ; plus loin, une roche minée à sa base par les vagues qui la battent sans cesse, et projetant sur la mer son front chauve noirci par le temps.

L’histoire de ces îles ressemble beaucoup à celle de l’Islande. Elles furent, comme l’Islande, découvertes dans un jour d’orage, peuplées, au temps de Harald aux beaux cheveux, par une colonie de Norvégiens, soumises d’abord à une sorte de gouvernement oligarchique, puis assujetties par la Norvége et réunies avec celle-ci, l’Islande et le Groenland, au Danemark à la fin du XIVe siècle. Elles sont maintenant administrées par un fonctionnaire danois qui a le titre de gouverneur, et divisées en six districts ou syssel. On y compte trente-neuf églises partagées entre sept prêtres. C’est une rude tâche pour les prêtres que de visiter, à certaines époques de l’année, ces paroisses disséminées sur l’océan. Aussi leurs prédications ne peuvent-elles être très régulières. Souvent ils se trouvent arrêtés par l’ouragan et retenus loin de leur demeure pendant des semaines entières[1] ; souvent aussi ils n’accomplissent qu’au péril

  1. Autrefois il y avait sur différens points des Féroe des sources d’eau bénite où les parens pouvaient aller baptiser leurs enfans, lorsque la mauvaise saison les empêchait de les porter au prêtre. Cet usage n’existe plus. Les parens portent le nouveau-né chez le prêtre, et souvent compromettent son existence par les fatigues et les dangers du voyage.