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VOYAGE DANTESQUE.

Mais ce vers expressif fait partie du magnifique éloge de saint Francois, qu’il a placé dans la bouche de saint Thomas d’Aquin.

Je me sentais avec Dante en ce lieu tout plein de la mémoire des miracles de saint François, sur cet âpre rocher de l’Apennin, d’où s’est répandu sur le monde l’ordre fameux qui a régénéré le catholicisme au moyen-âge, et dont le poète du catholicisme et du moyen-âge a si magnifiquement exalté le fondateur. Je rencontrai, en arrivant au monastère, la foule de pèlerins qui se retiraient après être venus célébrer la fête des Stigmates. Plusieurs centaines d’hommes et de femmes avaient été reçus hospitalièrement par les moines. Une portion de cette foule avait couché dans l’église de Saint-François.

La foi du XIIIe siècle était encore là, et, chose curieuse ! elle y était représentée par un franciscain de Marseille ! Le frère Jean Baptiste me conduisit aux divers lieux témoins des merveilles opérées par saint François. En me racontant ces merveilles, il semblait les voir. « C’est ici, disait-il, que le miracle s’accomplit ; le saint était là où je suis. » Et en prononçant ces paroles, la physionomie, la voix, les gestes de frère Jean-Baptiste exprimaient une invincible certitude. Il m’a montré des rochers fendus et brisés par quelque accident géologique, et m’a dit : « Voyez comme le sein de la terre a été déchiré dans la nuit où le Christ est descendu aux enfers pour y chercher les ames des justes morts avant sa venue ! Comment expliquer autrement ce désordre ? Ceci, ce n’est pas moi qui vous le raconte, vous le voyez de vos yeux, vous le voyez ! »

J’écoutais avec d’autant plus d’intérêt, que Dante fait allusion à la même croyance. Pour passer dans le cercle des violens, il lui faut franchir un éboulement de rochers auquel Virgile attribue la même origine. Il le rapporte aussi au tremblement qui agita l’abîme le jour où le Christ y descendit. Virgile dit exactement à Dante ce que me disait le frère Jean-Baptiste[1].

Descendu de l’Alvernia, j’arrivai le soir, par un beau clair de lune, dans la petite ville de Bibiena : c’était quitter les Alpes et retrouver l’Italie. Au lieu du vent froid des hauteurs, une tiède brise courait légèrement sur les oliviers blanchis par la lune. Les villas qu’elle éclairait semblaient resplendir dans l’ombre. La gaieté bruyante d’une soirée d’été animait les rues étroites de Bibiena. Une jolie petite fille sortait d’une écurie en chantant : Io son la sorella d’amor. C’est un des charmes de cette course du Casentin que le passage presque

  1. Inf., c. II, 34.