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VOYAGE DANTESQUE.

prit chrétien, le nouveau Christ, comme l’appellent les franciscains[1], reçut les stigmates, c’est-à-dire l’empreinte sur ses mains et sur ses pieds des clous qui attachèrent le Sauveur sur la croix. Le lendemain du jour commémoratif de ce grand évènement, j’avais vu s’en retourner cette foule immense d’hommes, de femmes, d’enfans qui étaient venus honorer le saint, et profiter de l’hospitalité sans bornes des moines mendians. Un autre hasard m’amenait quatre ans plus tard à Assise le jour de la fête de saint François. Ce n’était pas un instant bien choisi pour voir les fresques de Cimabuë, de Giotto et de Memmi, mais c’était une rencontre curieuse pour qui voulait apprendre ce qu’ont encore d’énergie les institutions du moyen-âge. Je suis retourné à Assise pour les fresques ; mais dans aucun autre moment je n’aurais vu cette église à trois étages remplie par la dévotion des fidèles accourus de toutes parts, je n’aurais vu le soir, en m’éloignant, le majestueux portique qui domine le cloître, illuminé dans toute son étendue, se dessiner dans la nuit, ni entendu les chants qui s’élevaient pour célébrer le jour où naquit, il y a six cents ans, un pauvre moine. En les écoutant, je me disais : C’est cet évènement qu’on célèbre aujourd’hui qui a fait dire au plus grand poète des temps modernes, parlant de la petite ville où je suis[2] : « Ici est né, pour le monde, un soleil, comme l’autre sort du Gange ; que celui qui voudrait nommer ce lieu ne dise pas Assise, il dirait trop peu, mais qu’il dise Orient, s’il veut bien parler. »

Cette hyperbole qui nous étonne n’est pas trop forte pour exprimer l’enthousiasme qu’inspira au moyen-âge cet héroïsme du renoncement, et, selon le langage énergique de Dante, ce saint mariage avec la pauvreté, veuve depuis douze siècles de son premier époux[3].

Il n’est pas surprenant que la peinture contemporaine de Dante ait été l’organe d’un sentiment universel. Les deux pères de cet art sont en présence dans l’église supérieure d’Assise ; Giotto n’a point laissé d’ouvrage où la naïveté se mêle mieux à un certain grandiose que dans les fresques d’Assise. On voit près de lui son devancier le vieux Cimabuë, celui auquel il avait enlevé la faveur publique.

Credette Cimabue, nella pittura.
Tener lo campo ed ora ha Giotto il grido
[4].

  1. Il a eu douze disciples comme le Seigneur, me disait le franciscain qui me montrait les peintures d’Assise.
  2. Parad., c. XI, 50,
  3. Ibid., 64.
  4. Purg., c. XI, 94.