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ment, qu’il met la pauvre bête tout en sang ; après quoi il lui rend sa liberté, et elle reprend sa vie sauvage. Les chevaux sont également abandonnés l’hiver et l’été à travers champs. On les va chercher à deux époques de l’année, la première fois pour porter l’engrais dans les prairies, la seconde pour porter la tourbe dans les fermes. Les vaches, grace au produit journalier de leurs mamelles, ont seules le privilége de manger à un râtelier et de dormir dans une étable.

La chasse est encore pour les habitans de ces îles une ressource assez considérable. Il n’y a ici, il est vrai, ni ours, ni loups, ni renards ; mais peu de pays renferment une aussi grande quantité d’oiseaux. On les trouve par centaines sur toutes les côtes et sur toutes les montagnes. Les Féroiens les poursuivent avec une rare intrépidité ; ils ne se bornent pas à tuer ceux qui errent sur la grève et planent sur la colline, ils gravissent, pour les dénicher, les sentiers les plus rudes et les rocs les plus escarpés. Si la roche où l’oiseau va faire son nid est tellement élevée, tellement polie à sa surface, que le Féroien ne puisse s’y cramponner, il monte au sommet en faisant un détour, se suspend à une corde dont deux ou trois de ses compagnons tiennent le bout, et se laisse descendre jusqu’à l’endroit où il a vu l’oiseau se poser. Quand il s’est emparé de sa proie, il tire une ficelle attachée au bras d’un de ses compagnons, et ceux-ci le hissent au haut de la montagne. Mais parfois il arrive que la corde s’engage dans des interstices de roc, et que l’imprudent chasseur reste suspendu entre ciel et terre, ne pouvant ni descendre, ni remonter. Il y a quelques années un paysan de Nordœ passa ainsi tout un jour et toute une nuit au milieu des rocs, privé de nourriture, demi-nu, exposé au froid, et torturé par la corde qui lui serrait les flancs. Dans son désespoir, il allait ronger la corde avec les dents, au risque de se tuer en tombant dans l’abîme, lorsque d’autres paysans arrivèrent à son secours. On parvint, après beaucoup d’efforts, à le délivrer de son affreuse situation, et, en posant le pied sur le sol, il tomba évanoui.

La pêche était autrefois, dans ces îles, une des occupations les plus importantes et les plus fructueuses ; depuis plusieurs années, elle est beaucoup moins abondante, soit que les bancs de poissons aient changé de place, soit qu’ils aient réellement diminué ; mais il reste toujours la pêche du dauphin, et celle-là pourrait faire oublier aux Féroiens toutes les autres. Dès qu’un pêcheur a reconnu, en pleine mer, la présence d’un troupeau de dauphins, il le signale aussitôt aux habitans de la côte, en arborant un pavillon particulier. Ceux-ci s’en vont sur la montagne, allument un feu de gazon, et bientôt ce signal télégraphique annonce à toutes les îles la joyeuse nouvelle. Les tourbillons de fumée flottent dans les airs, les feux éclatent de sommet en sommet ; leur nombre, leur position, indiquent aux habitans des côtes éloignées l’endroit où se trouvent les dauphins. À l’instant le pêcheur détache sa barque du rivage ; ses parens, ses voisins accourent à la hâte se joindre à lui ; des femmes leur préparent des provisions, et ils s’élancent gaiement sur les flots. À Thorshavn, il y a ce jour-là un mouvement dont on ne saurait se faire