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passions qui veulent enchaîner l’essor de la vérité, sont là, toujours éveillées, toujours ingénieuses à dénaturer le sens des mots, toujours impudentes dans les interprétations de mauvaise foi, et le vulgaire, aisément séduit par cet appel à sa conscience, se range naïvement du côté de l’injure et de la calomnie.

Et cependant le vulgaire est généralement bon. Il a des instincts de justice ; il est crédule parce qu’il est foncièrement loyal. Il se tourne avec indignation contre ceux qui l’ont trompé, quand ils viennent à lever le masque. Il porte aux nues ce qu’il foulait aux pieds la veille. On en conclut que le peuple est extravagant, qu’il a des caprices inouis, insensés, qu’il est sujet à des réactions inexplicables, et qu’en conséquence il faut le craindre et l’enchaîner. Dernière hypocrisie, plus odieuse que toutes les autres ! On sait fort bien que la brute elle-même n’a point de fureurs qui ne soient motivées par ses besoins. À plus forte raison l’homme en masse n’a pas de colères qui ne soient justifiées par d’odieuses provocations. Quand le peuple brise ses dieux, c’est que les oracles ont menti, et que l’homme simple ne veut pas être récompensé de sa confiance par la trahison. Ô médiocrité ! ô ignorance ! peuple dans toutes les conditions, infériorité dans toutes les sphères de l’intelligence ! sors donc de tes langes, brise tes liens, essaie tes forces ! Le génie n’est pas une caste dont aucun de tes membres doive être exclus. Il n’y a pas de loi divine ni sociale qui t’enchaîne à la rudesse de tes pères. Le génie n’est pas non plus un privilége que Dieu confère arbitrairement à certains fronts, et qui les autorise à s’élever dédaigneusement au-dessus de la foule. Le génie n’est digne d’hommages et de vénération qu’en ce sens qu’il aide au progrès de tous les hommes, et, comme un flambeau aux mains de la Providence, se lève pour éclairer les chemins de l’avenir. Mais cette lumière, qui marche en avant des générations, tout homme la porte virtuellement dans son sein. Déjà le moindre d’entre nous en sait plus long sur les fins de l’humanité, sur la vérité en religion, en philosophie, en politique, que les grands sages de l’antiquité. Le bon et grand Socrate, interrogeant aujourd’hui le premier venu parmi les enfans du peuple, serait émerveillé de ses réponses. Un jour viendra donc où les jugemens grossiers qui nous choquent aujourd’hui seront victorieusement réfutés comme de vieilles erreurs par les enfans de nos moindres prolétaires. Prenons donc patience. La postérité redressera bien des erreurs et réparera bien des injustices. À toi, Byron, prophète désolé, poète plus déchiré que Job, et plus inspiré que Jérémie, les