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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

tant de rigueur. Il n’y a pas plus de trois ans qu’il n’existait encore pour toutes les Féroe que le magasin de Thorshavn. Les paysans du nord et du midi devaient louer un bateau, payer des rameurs, entreprendre un voyage difficile et souvent dangereux pour venir recevoir à Thorshavn selon la taxe le prix de leurs pauvres denrées. Il arriva un jour que, dans un de ces voyages, un bateau périt avec douze hommes. Ce malheur fit impression, et le gouvernement s’est enfin décidé à établir des entrepôts sur différens points. Il y en a un, depuis 1836, à Trangisrangfiord, un autre à Bordœ. On en établit maintenant un troisième à Vestmanna. Mais ce n’est guère là qu’un léger adoucissement à un état de choses affligeant ; la racine du mal existe encore tout entière. D’après les anciennes ordonnances, le prix des denrées féroiennes et des denrées danoises destinées à être offertes en échange devait être déterminé par la moyenne de leurs différens prix de vente pendant cinq années. Jusque-là il y avait au moins, dans les dispositions de la loi, quelque apparence de justice, quoique ce maximum imposé aux paysans soit encore une dure nécessité ; mais voici qu’en 1821 il survient une ordonnance qui ajoute au prix moyen des denrées danoises une surcharge de 33 pour 100, et, en 1834, une autre ordonnance qui prescrit pour les denrées des Féroe une diminution de 50 pour 100, ce qui fait, pour les malheureux condamnés à de telles transactions, un déficit net de 83 pour cent. Et qu’on ne pense pas qu’il soit facile aux Féroiens de se soustraire à ces marchés cruels : ils ne peuvent négocier qu’avec les représentans du gouvernement. S’ils essaient de livrer à d’autres la moindre denrée, ils s’exposent à être traduits devant le juge comme des malfaiteurs. Il y a quelques années une jeune femme donna à un pêcheur de Dunkerque quelques tissus de laine en échange d’une paire de boucles d’oreilles ; elle fut accusée, jugée, et condamnée à une amende de 60 francs. Un paysan paya la même amende pour avoir échangé avec des matelots anglais du poisson contre quelques bouteilles d’eau-de-vie. Cette loi de proscription à l’égard des étrangers est si rigoureuse, qu’il n’est pas même permis aux Féroe d’avoir des relations avec les îles les plus voisines. Les bâtimens danois n’arrivent à Thorshavn qu’au mois de mai, et font leur dernier voyage au mois de septembre. Tout le reste du temps, les habitans des Féroe sont privés de nouvelles et séparés du monde entier. Ils pourraient recevoir en hiver des lettres et des journaux par les îles Shetland. Depuis plusieurs années, ils en demandent instamment la permission, et n’ont pu encore l’obtenir. En vérité, quand on voit de telles misères, on est tenté de dire, avec un voyageur anglais qui a visité aussi les Féroe, et qui a vu, comme nous, les tristes conséquences du monopole : « Il semble que la politique du gouvernement danois soit de maintenir les habitans des Féroe dans un état de pauvreté et de dépendance continuelles[1]. »

Cette hideuse loi de monopole entrave toute espèce de travail et paralyse toute industrie. Une grande paire de bas de laine tricotée se vend, à Thorshavn,

  1. Mackenzie.