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Cette baie Magdeleine et les autres baies du nord et du sud étaient autrefois beaucoup plus fréquentées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Au XVIIe siècle, quatre nations revendiquaient à main armée le privilége d’y venir pêcher la baleine. Pour soutenir leurs prétentions, les armateurs furent obligés de joindre à leurs bâtimens de transport des bâtimens de guerre. L’amour du gain ne connaît pas de limites, et les glaciers du Spitzberg furent plus d’une fois ébranlés par les cris de guerre et les coups de canon des spéculateurs qui se disputaient l’exploitation des golfes déserts, comme ailleurs on se disputait la possession d’une province. En 1606, il s’était formé en Angleterre une société connue sous le nom de société moscovite, qui avait pour but d’exploiter les contrées du Nord. Pendant plusieurs années, les bâtimens de cette société furent les seuls qui entreprirent d’aller pêcher la baleine au Spitzberg. Quand les Hollandais voulurent essayer la même spéculation, les Anglais s’y opposèrent et leur prirent plusieurs bâtimens. En 1613, la compagnie moscovite reçut de Jacques Ier un privilége qui lui accordait le droit de pêche absolu dans les mers polaires et en excluait les autres nations. Elle arma sept bâtimens de guerre, chassa des baies du Spitzberg les Hollandais, les Français, les Biscayens, et fit ériger sur la côte une croix portant le nom de l’Angleterre et celui du roi. Dès ce jour, elle changea le nom du Spitzberg et l’appela la nouvelle terre du roi Jacques (king James new land). En 1614, elle envoya treize navires sur ces côtes, dont elle s’était attribué la possession exclusive ; mais les Hollandais y arrivèrent avec quatorze bâtimens de pêche, quatre bâtimens de guerre, et effrayèrent leurs concurrens. L’année suivante, nouveaux armemens et nouvelle contestation. Le Danemark se mêla aussi à cette guerre ; il envoya trois bâtimens dans le nord pour faire payer un péage aux Anglais, qui s’y refusèrent énergiquement. La lutte dura jusqu’en 1617. Enfin les partis rivaux firent un traité de paix et se partagèrent l’Océan glacial. Les Anglais, dans ce contrat, obtinrent la part la plus large ; leur domaine s’étendait de Bellsound jusqu’à la baie Magdeleine. Les Hollandais occupaient l’île d’Amsterdam, la baie de Hollande et deux autres baies. Les Danois, les Hambourgeois étaient placés entre les Anglais et les Hollandais. Les Français et les Espagnols devaient aller stationner au nord dans la baie de Biscaye. La pêche était très abondante ; toutes ces grèves, aujourd’hui si mornes, si délaissées, offraient alors un singulier mouvement d’hommes, d’embarcations, de navires. Un historien raconte qu’en 1697 il arriva dans le district des Hollandais cent quatre-vingt-huit navires, qui, dans un très court espace de temps, avaient pris dix-neuf cent cinquante baleines. Dans le commencement de ces expéditions, les pêcheurs emportaient avec eux les baleines presque tout entières, ce qui leur faisait un chargement considérable et en grande partie inutile. Plus tard ils établirent à terre des chaudières pour fondre la graisse, et alors ils ne mirent plus sur leurs bâtimens que les tonnes d’huile et les parties de la baleine qui avaient une valeur réelle. Les Hollandais, séduits par les bénéfices considérables de cette pêche, avaient envie, sinon de coloniser le Spitzberg, au moins d’y former une sta-