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l’ampleur et de la démarche ; c’est plutôt dans la physionomie qu’on désirerait quelque chose de plus particulier. Les sujets auxquels se prend le poète sont volontiers extérieurs : Gros et Léopold Robert, un tableau de M. Delacroix, un marbre de Michel-Ange, une imitation de Shakspeare. Pourtant le côté intime ne manque pas ; de nombreuses pièces, où s’exprime le regret de la mort d’une mère, sont faites pour toucher ceux qui ne préfèrent pas, dans les affections profondes, une discrétion plus rigoureuse. La poésie intime doit être très sobre sous peine de devenir suspecte. Gray se plaint une fois, et de la plus douce, de la plus mélancolique des plaintes, et il se tait ; voilà pourquoi l’on y croit. Lamartine répète et varie à satiété ses premières douleurs, et voilà pourquoi l’on n’y croit plus. Le talent sait faire bien des choses ; donnez-lui un peu de sentiment, il simule le reste et il achève. Le cœur exercé discerne toutefois ce qui ne vient pas uniquement du dedans. Mme Colet a fait une jolie pièce au Liseron, qui exprime poétiquement notre conseil :

Aimez le liseron, cette fleur qui s’attache
Au gazon de la tombe, à l’agreste rocher ;
Triste et modeste fleur qui dans l’ombre se cache
Et frissonne au toucher !

Aimez son teint si pâle et son parfum d’amande ;
Ce parfum, on le cherche, il ne vient pas à vous ;
Mais, à l’humble corolle alors qu’on le demande,
On le sent pur et doux !…

Mme Colet s’est donc dit à elle-même tout cela bien mieux que nous ne pourrions ; mais sa nature l’emporte. Nous nous rappelons d’anciens vers d’elle où elle s’appelait la vierge à l’ame véhémente ; l’ardente jeune fille est devenue la jeune femme tout-à-fait intrépide, et qui vise ouvertement au diadème de l’art. Dans une pièce intitulée À ma Mère, on lit des vers lancés à main armée contre la critique :

Mais ce n’est plus l’orgueil, une autre voix m’entraîne,
Ma mère, c’est l’honneur qui me pousse à l’arène
Et qui me fait braver, parmi les combattans,
Le lâche pamphlétaire aux propos insultans.

Quelle que soit la violence des coups, il est permis, à nous tous critiques, d’y moins répondre, lorsqu’ils viennent d’une belle amazone. Nous aimons pourtant mieux Mme Colet dans l’expression de l’amour ; son chant d’Héloïse à Abeilard nous semble véritablement très passionné. Abeilard est bien heureux, après tant de siècles et après tant d’hommages de toutes sortes, après Colardeau et le Sic et Non, de recevoir encore, comme au premier jour, de tels