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lation se trouvait répartie en tribus qui reconnaissaient le pouvoir absolu et héréditaire d’un chef, et en petits états, dont la constitution se rapprochait plus ou moins des formes républicaines. Les Romains, pour affermir leur conquête, proclamèrent le respect des usages et des intérêts établis ; mais, comme il leur était plus facile sans doute de s’arranger avec les représentans des villes qu’avec ces petits despotes qui conservaient religieusement la tradition de leur indépendance, les rusés tuteurs de la Gaule favorisèrent de tout leur pouvoir l’institution des états populaires aux dépens de la farouche aristocratie. Cérialis, dans un beau discours que lui prête Tacite, se fait un titre de cette politique auprès des Gaulois révoltés. « Les tyrannies et les guerres intérieures, leur dit-il, ont désolé votre pays, jusqu’au jour où vous avez reconnu nos lois[1]. » Cette manœuvre eut plein succès. Dès les premiers temps de l’empire, tous les peuples qui composaient la nation gauloise avaient adopté le régime municipal, et, quoique les anciennes terres nobles conservassent en grande partie leurs franchises, elles n’étaient pas moins incorporées au territoire des cités. Or, le christianisme, qui ne tarda pas à s’organiser politiquement, éleva un siége épiscopal pour chacun des peuples gaulois, et la circonscription de chaque cité devint la limite d’un diocèse. Le gouvernement civil changea ; les bornes administratives furent souvent déplacées ; les peuples se confondirent : seule, l’Église demeura imperturbable au milieu des ruines, de sorte qu’une carte de la France ecclésiastique avant 1789 indiquerait rigoureusement, assure-t-on, la position relative des peuples gallo-romains. Ce genre de preuve n’est peut-être pas à l’abri de toute objection, malgré l’autorité qu’il emprunte de plusieurs noms célèbres. Nous avons beaucoup plus de confiance dans l’Analyse des itinéraires anciens, résultat d’un travail immense qui suffirait seul à fonder une renommée durable. Cette opération a conduit M. Walckenaër à la découverte de cinq mesures différentes employées dans la Gaule transalpine ; savoir : des stades de trois proportions en usage dans les diverses régions maritimes ; dans l’intérieur du pays, le mille romain de soixante-quinze au degré, et la lieue gauloise de quinze cents pas romains ou cinquante au degré, ce qui représente exactement le double de nos lieues communes.

Si, comme description topographique, le livre de M. Walckenaër ne laisse rien à désirer, on pourrait peut-être lui reprocher de ne pas justifier pleinement son titre de Géographie historique. Ainsi on aimerait à trouver quelques indications, ou, à défaut de renseignemens positifs, quelques conjectures archéologiques, sur l’aspect des diverses contrées gauloises. Il eût été possible sans doute de jeter quelques lueurs sur ces étranges villes druidiques, qui ne devaient avoir ni temples ni édifices publics, puisque le culte s’exerçait dans les mystérieuses profondeurs des forêts, que l’administration toute pratique ne conservait pas d’archives, et que les actes de la vie civile s’exer-

  1. Tacite, Histoire, liv. IV, chap. 74.