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à ces diverses parties de leur organisme, doivent avoir à coup sûr une même origine. » Cette méthode est d’autant plus satisfaisante que les exemples sur lesquels elle s’appuie mettent en regard des radicaux sanscrits un grand nombre de mots celtiques, et qu’ainsi la vérification matérielle vient à l’appui de la preuve analytique.

Il paraît donc hors de doute que la nation gauloise est issue d’une grande famille appelée vaguement indo-germanique, qui, dès les premiers âges du monde, s’est assise majestueusement au sud-est de la mer Caspienne, et au sein de laquelle s’élabora le Zend, la langue de Zoroastre, qu’on commence à déchiffrer. Mais dans l’état présent des recherches, il y aurait de la témérité à pousser plus loin les conjectures, et à pressurer les mots pour en faire sortir des démonstrations historiques. Par exemple, dans l’appendice qui termine son mémoire, M. Pictet suppose que le berceau d’où s’échappèrent les Hindous et les Celtes, fut placé sous un ciel plus chaud qu’on ne le dit communément, et voici la raison qu’il allègue : d’abord, la racine du mot qui, en sanscrit, signifie matelas de coton, se retrouve avec les inévitables changemens dans plusieurs dialectes celtiques ; ensuite, le mot sanscrit sardûla, qui signifie tigre au propre, et au figuré fort, véhément, reparaît dans le mot irlandais sartulaid, qui exprime également la force ; ce qui annonce doublement, selon M. Pictet, que la langue-mère s’est formée dans un pays favorable à la culture du coton, et sous la zône ardente où se rencontre le tigre. M. Pictet, nous le savons bien, n’a pas voulu proclamer une découverte, mais montrer par une seule étincelle tout ce qu’on peut tirer de lumière du choc ingénieux des mots. Il fallait du moins signaler le danger de cette méthode divinatoire, et préparer pour les imaginations aventureuses le frein salutaire de la critique. Ne laissons pas oublier que la philologie comparée, pour mériter confiance, doit opérer sur une série de mots disposés à l’avance et embrassant tout un ordre d’idées, de telle sorte que les similitudes ne puissent pas être raisonnablement attribuées au hasard. Une autre cause d’erreur existe encore : la prononciation de ces idiomes qui ne sont pas d’un usage commun, est toujours fort incertaine, et les mots mis en comparaison n’étant pas écrits avec les caractères qui leur sont propres, mais avec ceux de notre alphabet moderne, il pourrait arriver que cette double traduction occasionnât d’étranges méprises. Au reste, M. Pictet sent pour lui-même la nécessité d’appuyer ses hypothèses futures sur une base large et solide. Le travail que l’Académie a sanctionné n’est pour lui qu’un premier pas dans la voie des recherches. Il a dessein d’étudier successivement des groupes de racines, des catégories de mots, et déjà, nous dit-il, le rapprochement des noms d’animaux dans toutes les langues qui se rapportent au groupe indo-européen, a fait briller à ses yeux plus d’un éclair inattendu.