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avant tout, se souvenir qu’avant-hier il y avait quelque chose à cette représentation qui était plus noble que Mlle Rachel, plus intelligent que le public, plus grand que tous ; c’était la tragédie de Cinna.

Au reste, le Théâtre-Français est en veine de prospérité pour cette saison. La nouvelle pièce de M. Scribe, la Calomnie, reçue avec acclamation ces jours derniers, doit assurer, dit-on, au fécond et spirituel auteur un rang désormais incontestable, et le mettre hors de pair dans la comédie telle qu’on la peut tenter de nos jours. On parle surtout d’un second acte d’une verve et d’un courage peu vulgaire. La rentrée de Mlle Rachel, la comédie de M. Scribe et le drame de George Sand, en voilà plus qu’il ne faut pour assurer la prospérité d’un hiver.


— Les cours de la Faculté des Lettres recommencent. M. Patin a rouvert le sien vendredi dernier ; c’est Horace qui l’occupe toujours. Le seul moyen de rajeunir ce vieux sujet était de l’approfondir. M. Patin a trouvé dans cette étude détaillée mille sources imprévues d’agrément. Cette fois, il a singulièrement charmé en montrant comment Horace est le poète de l’antiquité le plus moderne, le plus voisin de nous, celui que les uns aiment pour sa sagesse tempérée, les autres pour son indulgence facile aux faiblesses.


— Deux nouveaux volumes de George Sand doivent paraître dans le courant de la semaine prochaine. Il nous est à peine permis, dans cette Revue, de rappeler les qualités brillantes et profondes qui les recommandent aux admirateurs habituels de l’écrivain. À côté des Sept Cordes de la Lyre, où il a tenté de hautes inspirations philosophiques, on retrouve Gabriel, qui est une de ses plus charmantes fantaisies.


— Le succès des Lettres sur l’Histoire de France est consacré, et ce livre, devenu classique, n’est pas de ceux sur lesquels puisse influer la crise momentanée de la librairie. Aussi la sixième édition vient-elle de paraître il y a quelques jours[1], en même temps qu’une troisième réimpression de Dix ans d’Études historiques, recueil qui contient, on le sait, les divers articles et fragmens isolés de M. Thierry. Ce dernier livre, qui est le nécessaire complément des œuvres de l’illustre écrivain, a été augmenté cette fois d’un travail important et encore inédit sur quatorze historiens de la France antérieurs à Mézeray. Ce long et intéressant morceau, qui comprend l’examen des écrits de Nicole Gilles, Paul-Émile, Robert Gaguin, Du Haillan, Papyre-Masson, Fauchet, Du Tillet, Pasquier, Hotman, Belleforest, Jean de Serres, Jacques Charron et Scipion Dupleix ; ce morceau, disons-nous, se rapporte à la même date à peu près que l’Histoire de la Conquête. À l’élévation et à la sûreté des fragmens, à l’étendue de l’érudition, à la perfection du style, on reconnaît en effet la manière et la maturité d’un maître.


V. de Mars.
  1. Chez Just-Tessier, quai des Augustins, no 37.