Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

shire et Lancashire, le siége de votre capitale et de vos plus riches cités à la merci d’une tentative qui, en cas de succès, permettrait de parler à la haine et aux cupidités d’une population ouvrière de plus de cinq millions d’hommes agglomérée sur un étroit espace, ce sont là des épreuves dont l’Angleterre sortira avec bonheur, j’aime à le croire, mais que la France n’a point à redouter, parce que la Providence et le génie national l’ont constituée dans des conditions toutes différentes.

Watt Tyler et Jack Straw, ces précurseurs de vos chartistes, conduisant, au XIVe siècle, cent mille hommes à Smithfield aux applaudissemens de la populace de Londres, firent courir à l’Angleterre des dangers bien autrement sérieux que les périls du même genre auxquels fut partiellement exposée la France. Alors même que la division des classes était le plus profondément marquée par les idées, cette division y fut généralement tempérée par les mœurs ; le génie populaire de la charité catholique avec lequel l’Angleterre fit un divorce si dangereux au seul point de vue politique, tendait incessamment, chez nous, à rapprocher ce qu’isolait le droit féodal ; et sur aucun point du continent les masses ne descendirent, comment le méconnaître ? à l’état rude et grossier où votre civilisation les retient encore.

Cette opposition des classes laborieuses aux classes oisives, du prolétariat à la propriété, paradoxe évident pour la France, où personne n’est assez riche pour ne pas travailler, où l’association de l’industrie à la culture agricole devient chaque jour plus étroite et plus nécessaire, n’apparaît comme une réalité que dans la Grande-Bretagne. C’est de Londres, et non point de Paris, que pourrait émaner avec quelque apparence de justice cette politique à l’usage du peuple, qui s’efforce de créer un antagonisme tout gratuit, au lieu d’unir les ames par les liens d’un même amour, confirmé par une même foi.

Il n’est en France, et ceci, monsieur, est quelque chose de tout nouveau dans le monde, que deux grandes catégories, l’une comprenant tous les hommes qui donnent à l’état un gage légal d’indépendance et de lumières, l’autre formée de tous ceux qui ne peuvent pas le lui offrir, mais auxquels la sollicitude sociale, incessamment éveillée, présente tous les moyens d’acquérir instruction et fortune, dans une proportion que déterminent l’aptitude, la moralité et la persévérance de chacun. Aux premiers appartient exclusivement, non pas le bénéfice, mais l’usage des droits politiques ; ils sont les tuteurs et comme les représentans légaux des seconds : ordre de chose tellement rationnel en soi, que ceux-ci, livrés à leurs seules