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fortes têtes auxquels il suffit d’émarger une feuille d’appointemens pour se croire à l’abri des révolutions.

Lorsque je dis que le pouvoir doit s’attacher à développer de plus en plus l’influence religieuse, et que je félicite le gouvernement de 1830 d’avoir, sous ce rapport, compris ses véritables intérêts, vous comprenez, de reste, que je ne le convie pas à se faire missionnaire, et à mettre en entreprise administrative la conversion de la France. Le pouvoir actuel sortirait en même temps des limites de ses devoirs et de celles de la prudence, s’il établissait entre le clergé et le gouvernement une association aussi dangereuse, pour l’un que pour l’autre. L’entière liberté des cultes, l’incompétence absolue de l’état en matière dogmatique, la concentration du clergé dans ses attributions purement spirituelles, ce sont là autant de faits capitaux sans lesquels il serait impossible de concevoir la société française telle que les temps l’ont faite. Lorsqu’on a vu le gouvernement précédent succomber en partie sous les résultats d’une alliance dont la religion paya si tristement les frais, il n’est aucun homme, même entre les plus aveugles, qui ose conseiller à la monarchie de 1830 ce qui fut si funeste à celle de 1815. C’est dans des termes très différens qu’on doit comprendre la situation respective de l’état et du clergé, et cette œuvre de moralisation religieuse à laquelle ils doivent concourir par une action simultanée, mais indépendante.

Un tel sujet est trop grave, il touche de trop près aux applications journalières de la politique pour ne pas exiger quelques développemens. Quoique nous appartenions à deux communions différentes de la grande société chrétienne, je puis vous les soumettre avec pleine confiance, car je ne prétends pas ici faire de la théologie, et je m’adresse bien moins à la foi religieuse qu’au sens de tous les hommes politiques.

Le catholicisme a des lois découlant de son essence même, et ne peut s’établir dans de bons rapports avec la société que sous les conditions particulières qui résultent de sa nature. Sa situation varie sans doute selon les temps, le génie des institutions et des peuples ; mais il n’en saurait accepter une qui fût de nature à compromettre ou l’intégrité du dogme ou l’indépendance d’une hiérarchie qui ne serait plus, du jour où elle cesserait de relever d’une autorité réputée infaillible aux yeux de la foi catholique. C’est pour cela que l’église romaine, à laquelle adhère l’immense majorité des Français, ne saurait s’encadrer dans aucune des formes affectées au sein de l’Europe