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médie ! Que vient-elle chercher ici ? Vous ne deviez pas la recevoir, Pauline !

— Oh ! ma mère ! s’écria Pauline en rougissant de honte et de chagrin, et en pressant sa mère dans ses bras, pour lui faire comprendre ce qu’elle éprouvait. Laurence pâlit, puis se remettant aussitôt : — Je m’attendais à cela, dit-elle à Pauline avec un sourire dont la douceur et la dignité l’étonnèrent et la troublèrent un peu.

— Allons, reprit l’aveugle, qui craignait instinctivement de déplaire à sa fille, en raison du besoin qu’elle avait de son dévouement, laissez-moi le temps de me remettre un peu ; je suis si surprise ! et comme cela, au réveil, on ne sait trop ce qu’on dit… Je ne voudrais pas vous faire de chagrin, mademoiselle… ou madame… Comment vous appelle-t-on maintenant ? — Toujours Laurence, répondit l’actrice avec calme. — Et elle est toujours Laurence, dit avec chaleur la bonne Pauline en l’embrassant ; toujours la même ame généreuse, le même noble cœur… — Allons, arrange-moi, ma fille, dit l’aveugle, qui voulait changer de propos, ne pouvant se résoudre ni à contredire sa fille, ni à réparer sa dureté envers Laurence ; coiffe-moi donc, Pauline ; j’oublie, moi, que les autres ne sont point aveugles, et qu’ils voient en moi quelque chose d’affreux. Donne-moi mon voile, mon mantelet… C’est bien, et maintenant, apporte-moi mon chocolat de santé, et offres-en aussi à… cette dame.

Pauline jeta à son amie un regard suppliant auquel celle-ci répondit par un baiser. Quand la vieille dame, enveloppée dans sa mante d’indienne brune à grandes fleurs rouges, et coiffée de son bonnet blanc surmonté d’un voile de crêpe noir qui lui cachait la moitié du visage, se fut assise vis-à-vis de son frugal déjeuner, elle s’adoucit peu à peu. L’âge, l’ennui et les infirmités l’avaient amenée à ce degré d’égoïsme qui fait tout sacrifier, même les préjugés les plus enracinés, aux besoins du bien-être. L’aveugle vivait dans une telle dépendance de sa fille, qu’une contrariété, une distraction de celle-ci pouvait apporter le trouble dans cette suite d’innombrables petites attentions dont la moindre était nécessaire pour lui rendre la vie tolérable. Quand l’aveugle était commodément couchée, et qu’elle ne craignait plus aucun danger, aucune privation pour quelques heures, elle se donnait le cruel soulagement de blesser par des paroles aigres et des murmures injustes les gens dont elle n’avait plus besoin ; mais aux heures de sa dépendance, elle savait fort bien se contenir, et enchaîner leur zèle par des manières plus affables. Laurence eut le loisir de faire cette remarque dans le courant de la jour-