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REVUE DES DEUX MONDES.

En passant à Lamballe, je descendis de cheval pour remettre quelques lettres au procureur-syndic. Je le trouvai causant avec un étranger au milieu de commis qui expédiaient des écritures. Je le connaissais à peine, et j’allais prendre congé de lui après une courte conversation, lorsqu’un bruit de pas et de voix, parmi lesquelles je crus reconnaître celle d’un ami de ma famille, du médecin Launay, se fit entendre sur l’escalier. Presque au même instant la porte s’ouvrit, et le médecin, suivi de deux sans-culottes en bonnet rouge, entra comme un orage.

— Eh bien ! dit-il en s’adressant au procureur, sans saluer personne, tu sais la nouvelle, citoyen ? Les paysans ne sont point venus hier au marché de Saint-Brieuc ; nous allons être pris par la famine ; les fanatiques s’organisent partout ; avant la fin du mois, ils viendront en armes pour nous égorger !…

Il allait continuer, lorsque ses regards tombèrent sur moi. Il fit une exclamation de surprise.

— Comment ! toi ici, Baptiste ! s’écria-t-il en changeant de ton subitement… Par quel hasard ?… Est-ce que tu n’habites plus Guingamp ?

Je voulus lui expliquer la cause de mon passage à Lamballe, mais il ne m’écouta point.

— À propos, continua-t-il en me prenant la main j’ai su que ton père était mort.

— En effet.

— Une grande perte, mon ami… une grande perte pour tout le monde… Après ça, le bonhomme était difficile à vivre, un peu dur, un peu avare, un peu aristocrate… Je n’en ai pas moins pris part à ton malheur. Mais j’ignorais que tu connusses notre brave syndic.

— Je n’ai point cet honneur.

— Vraiment ? Alors il faut que je te présente à lui ; vous êtes faits l’un pour l’autre.

Et, sans attendre ma réponse, il cria mon nom au procureur.

— Je te garantis celui-là, citoyen, dit-il en me frappant sur l’épaule ; un vrai républicain dès le berceau ; il était toujours en querelle avec tout le monde… Te rappelles-tu, dis donc, Baptiste, quand ils voulaient faire de toi un calottin ?… Avec ça qu’il avait été élevé par un curé… Mais, tout petit, il ne croyait ni à Dieu ni au diable ; aussi n’ont-ils jamais pu l’abrutir par la superstition.

J’étais au supplice pendant cette ridicule apologie que le syndic