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CORRESPONDANCE DE WASHINGTON.

l’évènement le plus mémorable de son histoire, nous le retrouverons plus remarquable et plus éclatant encore dans le général Washington. En lui, la nation et la révolution se sont personnifiées. Sa vie réfléchit l’histoire de sa patrie. Peut-être, quelque jour, ne devrons-nous plus admirer que les masses : pendant qu’il en est temps encore, donnons-nous le loisir d’admirer un grand homme.

Washington descendait d’une famille ancienne en Angleterre. Celui de ses aïeux qui vint le premier s’établir en Virginie, sur les bords du Potomac, avait quitté l’Europe en 1657. Il appartenait donc à cette génération tout ensemble religieuse et politique, contemporaine de la révolution. Il acheta des terres, il fut planteur, et son arrière-petit-fils naquit dans les conditions de famille, de profession, de situation sociale, où nous avons vu que se reproduisait le plus complètement le caractère américain. Si le sort l’eût à jamais confiné dans la vie privée, il eût été un propriétaire intelligent, un agriculteur éclairé, d’une instruction simple, de mœurs sévères, soumis à la religion, jaloux de son honneur, robuste, actif, fait au travail, au danger, à la solitude, froid dans ses manières, obéi dans sa maison, respecté dans sa contrée, et obtenant facilement la déférence de tous par l’excellence de son jugement et l’énergie de sa volonté. Il eût ignoré toute sa vie que ses qualités, mises à l’épreuve des affaires publiques, s’élèveraient sans peine à leur niveau, et grandiraient à la mesure du théâtre où elles devraient se déployer. La plus modeste situation lui eût convenu, pourvu qu’elle fût digne ; il convint à la plus haute, égal à toutes par ses talens, supérieur à toutes par son caractère.

Il avait le goût des mathématiques, et il en savait ce qu’il faut pour être un arpenteur habile, profession importante et difficile dans une société qui s’approprie des forêts primitives et qui défriche le désert. C’est dans les travaux de l’arpentage qu’il commença l’apprentissage de la fatigue et du péril, et qu’il sentit naître en lui cette vocation militaire que la guerre de 1755 vint développer. Major dans la milice de son district à dix-neuf ans, il prit part à plusieurs expéditions hasardeuses au-delà des monts Alleghanis, et devint commandant en chef de la poignée d’hommes que la Virginie appelait son armée, et qui soutenait une guerre de frontières contre les Indiens et contre les Français. C’était sans doute un officier capable, alliant à la prudence une froide audace. Mais ce qui frappe le plus dans ce début de sa vie publique, c’est le soin jaloux qu’il montre en toute occasion de maintenir sa dignité personnelle ; c’est le sentiment consciencieux d’une responsabilité qui porte sur lui tout entière, lors