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REVUE DES DEUX MONDES.

VI. — COLONISATION ANGLAISE DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

Quand on récapitule ce que l’esprit d’entreprise a fait depuis un siècle pour l’Angleterre, et ce que l’Angleterre a fait par lui, on ne peut se défendre d’un profond étonnement. Au temps où le commodore Drake et le lord Delaware ouvrirent cette carrière de glorieuses aventures, l’un en promenant le pavillon britannique autour du globe, l’autre en portant la hache du pionnier sur les forêts du Nouveau-Monde, la Grande-Bretagne ne possédait que ses deux îles européennes et quatorze millions de sujets directs. Ce qu’elle a réalisé depuis lors en fait de conquêtes dépasse toute imagination, et la statistique de nos temps positifs prend à ce sujet la couleur d’une tradition fabuleuse. Comme si c’était une tâche légère que d’avoir peuplé et renouvelé l’Amérique du Nord, l’une des grandes Antilles et les plus belles îles de l’Océan atlantique, l’Angleterre s’est attaquée à l’Asie, et y a fondé son empire des Indes aux terres australes, et s’y est adjugé un continent. Jetant en chemin des garnisons sur toutes les plages et plantant son drapeau sur tous les rochers, elle n’a eu pour son génie de découvertes d’autres limites que celles du monde. Aujourd’hui la Grande-Bretagne étend son pouvoir sur une superficie de 775,000,000 lieues carrées et commande à cent quarante-huit millions de sujets immédiats. La dixième partie du globe est dans ses mains. Qu’on parle maintenant de sa décadence !

Ce succès merveilleux tient à deux causes, à l’esprit public et au génie particulier. Point de lutte, point de rivalité entre ces deux expressions de la grandeur nationale. L’action collective a toujours appuyé, complété, chez nos voisins, l’initiative individuelle, et la force de tous n’a nulle part fait défaut aux hardiesses de chacun. Jamais un plus bel ensemble d’efforts n’a concouru à de plus brillans résultats. Il faut ajouter que l’élévation du rôle a dû influer beaucoup sur le caractère du peuple qui s’en était hardiment emparé. Il est des mérites qu’une situation commande et aussi des vices qu’elle impose. Une fois lancée dans sa voie d’envahissement, l’Angleterre n’a plus eu ni le choix des moyens, ni la liberté des allures. Il fallait marcher devant soi sans s’arrêter, sans regarder en arrière, entreprendre toujours et toujours réussir. À défaut du droit le fait, à défaut de l’adresse la violence ; tout était bon, pourvu que le succès fût au bout. On ne saurait dire tout ce qu’il s’est dépensé, dans cette mission, d’égoïsme persévérant et d’énergie impitoyable. De tels mandats