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quatre ans), la reine persécutée, « abandonnée de tout le monde, nous dit-il, et n’osant se confier qu’à Mlle d’Hautefort et à moi, me proposa de les enlever toutes deux et de les emmener à Bruxelles. Quelque difficulté et quelque péril qui me parussent dans un tel projet, je puis dire qu’il me donna plus de joie que je n’en avais eu de ma vie. J’étais dans un âge où l’on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvais pas que rien le fût davantage que d’enlever en même temps la reine au roi son mari et au cardinal de Richelieu, qui en était jaloux, et d’ôter Mlle d’Hautefort au roi qui en était amoureux. » Toutes ces fabuleuses intrigues finirent, pour lui, à la fuite de Mme de Chevreuse, par huit jours de Bastille et un exil de deux ou trois ans à Verteuil (1639-1642) : c’était en être quitte à bon compte avec Richelieu, et cet exil un peu languissant se trouvait encore agréablement diversifié, il l’avoue, par les douceurs de la famille[1], les plaisirs de la campagne, et les espérances surtout d’un règne prochain où la reine paierait ses fidèles services.

Cette première partie des Mémoires était essentielle, ce me semble, pour éclairer les Maximes, et faire bien mesurer toute la hauteur d’où l’ambitieux chevaleresque était tombé pour creuser ensuite en moraliste : les Maximes furent la revanche du roman.

Il résulte de plus de cette première période mieux connue, que Marsillac, qui, en effet, avait trente-trois ans bien passés lors de son engagement avec Mme de Longueville, et trente-cinq ans à son entrée dans la Fronde, n’y arriva que déjà désappointé, irrité et, pour tout dire, fort perverti : et cela, sans l’excuser, explique mieux la détestable conduite qu’il y tint. On le voit gâté tout d’abord. Il ne se cache pas sur les motifs qui l’y jetèrent : « Je ne balançai point, dit-il, et je ressentis un grand plaisir de voir qu’en quelque état que la dureté de la reine et la haine du cardinal (Mazarin) eussent pu me réduire, il me restait encore des moyens de me venger d’eux. » Mal payé de son premier dévouement, il s’était bien promis qu’on ne l’y prendrait plus.

La Fronde présente donc la seconde période de la vie de M. de La Rochefoucauld ; la troisième comprend les dix ou douze années qui suivirent, et durant lesquelles il se refit, comme il put, de ses blessures au physique, et s’en vengea, s’en amusa, s’en releva au moral

  1. Il avait épousé fort jeune Mlle de Vivonne, dont je ne vois pas qu’on dise rien de plus par rapport à lui, sinon qu’il en eut cinq fils et trois filles.