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MORALISTES DE LA FRANCE.

XXVI. Le poète, l’artiste, l’écrivain n’est trop souvent que celui qui sait rendre : il ne garde rien.

XXVII. Il y a des jours où l’esprit s’éveille au matin, l’épée hors du fourreau, et voudrait tout saccager.

XXVIII. Le degré où l’ennui prend est l’indice le plus direct peut être de la qualité de l’esprit. Ceux qui s’ennuient vite sont délicats, mais légers. Ceux qui ne s’ennuient pas aisément sont vite ennuyeux. Ceux qui, tout en ressentant l’ennui, le supportent trop long-temps, finissent par s’en imbiber et l’exhaler.

XXIX. Un peu de sottise avec beaucoup de mérite ne nuit pas : cela fait levain.

XXX. À la philosophie du XVIIIe siècle, qui préconisait la nature de l’homme, a succédé le gouvernement parlementaire, qui lui fait des complimens soir et matin : comment ne serait-il pas gâté ?

XXXI. À tous ces édifices fantastiques, à ces façades de palais enchantés que nos philosophes construisent au plus grand honneur et bonheur de l’homme, je lis toujours cette ironique inscription tirée du plus pieux des poètes : Mortalibus œgris !

XXXII. On a beaucoup parlé de la folie de vingt ans, il y a celle de trente-cinq, qui n’est pas moins particulière ni moins fréquente : Alceste après Werther. Rousseau n’a écrit qu’après cette seconde folie et a continuellement mêlé les deux en un même reflet.

La Rochefoucauld l’a dit : En vieillissant on devient plus fou et plus sage.


Si quelqu’une des précédentes maximes choquait trop, je me promets bien de ne pas tarder à la réfuter.


Sainte-Beuve.