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dans ce contre-sens de calomnier et de détruire leur œuvre, leur instrument, et la société fut entretenue dans un état d’insurrection permanente. Tout cela s’explique sans doute par la fatalité des passions révolutionnaires, et il serait puéril de s’étonner de ces déviations fougueuses ; mais il ne faut pas moins remarquer les habitudes qu’elles ont laissées après elles. Depuis cinquante ans, la nation française, si l’on excepte le consulat et les premiers temps de l’empire, a toujours eu à l’égard de ses divers gouvernemens des sentimens de défiance et de négation : pendant les quinze années de la restauration, ces habitudes se sont élevées au rang de théories et de vérités politiques. Jean-Baptiste Say, faisant d’une épigramme de Beaumarchais un axiome social, disait que, pour un gouvernement, c’est déjà faire beaucoup de bien que de ne pas faire de mal. Benjamin Constant, avec la dextérité la plus ingénieuse, tirait des maximes de l’opposition anglaise un système de philosophie politique. Aujourd’hui il est permis de reconnaître que les gouvernemens ne sont ni une institution de droit divin, ni un fléau envoyé aux peuples par la colère de Dieu. Un gouvernement est le ministre de la société, il est la société même s’appliquant à la gestion des intérêts généraux. En aucun temps sa bonté n’est absolue ; en aucun temps ses intentions ne sont radicalement perverses. Reflet des mœurs sociales, il en suit nécessairement les progrès : depuis qu’à la fin du XVe siècle l’esprit humain est entré dans un mouvement nouveau, il a fait pénétrer dans les gouvernemens toutes les réformes qu’il a voulues avec fermeté et qu’il avait raison de vouloir.

Si la révolution française avait judicieusement distingué la souveraineté du gouvernement, elle ne montra pas un sens moins droit dans la manière dont elle établit le dogme de l’égalité. Que les hommes soient égaux par la racine même de leur nature, voilà une vérité qui a toujours été confusément sentie dès qu’il y a eu société humaine, quelque imparfaites ou si tyranniques qu’aient été les formes de l’association. C’est le développement de cette vérité même qui fait dans l’histoire la différence des temps et des constitutions, car elle fut toujours présente, même au milieu des castes de l’Inde et de l’Égypte, puisqu’on ne pouvait l’opprimer qu’en la reconnaissant. Elle devait encore être moins oubliée dans l’ordre de la spéculation pure, et partout nous trouvons sa trace dans les monumens de la philosophie antique. La fameuse théorie d’Aristote sur l’esclavage ne nous dément pas ; car elle était une contradiction flagrante des enseignemens de Socrate et de Diogène. Sénèque, qui résuma la sagesse