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occurrence, rarement à la seconde. Rome républicaine consolidait sa liberté intérieure et sa gloire au dehors, quand elle remettait au sénat, s’exprimant par l’organe d’un des consuls, le choix d’un dictateur. L’état où l’élection populaire règne seule, manque d’un élément nécessaire, car la société se trouve privée de la force que lui prêterait le jugement des esprits supérieurs sur ses destinées, ses actes et ses affaires. Cette considération n’échappait pas à un des plus profonds penseurs de la révolution, quand, après avoir distribué la France en trois divisions politiques, la commune, le département et l’état, il imaginait de confier le pouvoir exécutif à un proclamateur-électeur, fonctionnaire supérieur, inamovible, irresponsable, qui représentait la nation au dehors, constituait le gouvernement avec un conseil d’état délibérant et un ministère responsable, choisissait dans les listes de candidature des juges, depuis les tribunaux de paix jusqu’à la cour de cassation, des administrateurs, depuis les maires jusqu’aux ministres[1]. On sait avec quelles expressions de dédain cynique cette proposition fut repoussée par celui qui montrait de plus en plus l’audace et le génie de César. Mais il n’est pas moins remarquable qu’un homme aussi sincère et aussi complet que Sieyes, comme démocrate et comme idéologue, ait pensé que la république ne pouvait exister sans un élément et des fonctions qui rappelaient exactement la royauté ; c’était pour établir la démocratie qu’il lui demandait de se modérer et de reconnaître d’autres faits qu’elle-même. La loi d’élection est une loi nécessairement mobile qu’il faut, d’époque en époque, amender et modifier ; c’est l’expression légale de la démocratie, dont le plus grand intérêt est que jamais la somme de ses droits ne dépasse la mesure de ses lumières.

Ce rapport intime entre l’élection et la capacité morale de l’électeur fut saisi sur-le-champ par les fondateurs de la révolution, qui jetèrent les bases d’une instruction publique commune à tous les citoyens, et gratuite pour les connaissances indispensables. Le plan d’une éducation nationale, qui figure parmi les premières pensées de nos pères, témoigne qu’ils entendaient fonder la liberté sur l’intelligence, et populariser les idées, pour rendre le nouveau droit social applicable et légitime. On trouve toujours, chez les initiateurs du mouvement de 1789, la double conscience de la dignité de l’homme et de la solidarité sociale ; ils pourront, un moment, être plus préoccupés de l’un de ces faits que de l’autre, mais au fond ils travaille-

  1. Histoire de la révolution française, par M. Mignet, chap. XIV.